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Sur la route
En relisant l'un des premiers numéros d'Entre Nous, je suis tombé sur un article concernant les "prestations", dont l'auteur, hélas, est resté anonyme. Cela a déclenché chez moi un retour en arrière d'un demi-siècle et de nombreux souvenirs ont ressurgi.
Au lendemain de la guerre, dans une France exangue, tous les équipements collectifs, laissés à l'abandon pendant ces années noires étaient à reconstruire. De plus, nos concitoyens, sevrés de plaisirs et de distractions, avaient envie de bouger et de se distraire. Dans nos campagnes, tous les déplacements s'effectuaient déjà par la route mais pas dans les conditions que nous connaissons maintenant. Très peu de routes étaient goudronnées. A Villebrumier, par exemple, seules la route de Montauban et la route de Monclar bénéficiaient de ce privilège. Les autres routes, empierrées, demandaient beaucoup d'entretien. Il faut dire que les véhicules étaient rares : 5 ou 6 automobiles à Villebrumier, un camion, celui de Courdy, le bus de Terrat qui transportait les villageois à Montauban les jours de marché, très peu de tracteurs, peu de motos, pas de cyclomoteurs. Mais alors, comment se déplaçait-on? À vélo, ou à pied, parfois dans une carriole tirée par un cheval! Les routes empierrées suffisaient à la circulation, même si les crevaisons y étaient fréquentes.
Si le réseau secondaire se trouvait dans un triste état, que dire alors des chemins vicinaux, dont l'entretien incombait à la commune! Heureusement, existaient les "prestations".
Les prestations, forme républicaine des corvées du Moyen-âge, constituaient un système qui permettait aux agriculteurs de payer une partie de la taxe vicinale sous forme de travail compensatoire. Les agriculteurs souscrivaient dans leur grande majorité à cette formule car ils pouvaient effectuer ces travaux à la morte saison et surtout ils ne prélevaient pas d'argent liquide dans leurs maigres bas de laine.
C'est le percepteur, sis à Villebrumier qui fixait le montant global de chaque prestation et c'est le chef-cantonnier des Ponts-et-Chaussées, mon père, lui aussi basé à Villebrumier, qui était chargé d'organiser la réalisation de ces travaux. Pour cela il disposait d'un barème : 1 mètre de fossé, tant de francs, 1 journée de travail, tant de francs... Il rencontrait donc les prestataires et on piquetait les mètres de fossé à curer, les métres de talus à débroussailler, les saignées à ouvrir et l'on recensait les nids de poules que l'on devait boucher avec du gravier.
Le plus souvent, il permettait au prestataire d'effectuer cette tâche le plus près possible de son domicile. Le travail était généralement très bien réalisé car l'agriculteur entretenait ainsi le chemin qu'il empruntait tous les jours.
En même temps que mon père donnait le détail des travaux, il fixait un échéancier pour leur réalisation ainsi que la date de son contrôle.
J'adorais suivre mon père quand je n'avais pas école et que sa tournée n'était pas trop éloignée : il me portait assis en amazone sur le cadre du vélo (c'était bien dur pour les fesses). Plus grand, j'empruntais le vélo de ma mère avec son cadre en berceau et parfois, comble du bonheur, nous prenions le casse-croûte que nous partagions assis sur l'accotement, les pieds dans le fossé, comme les "grands".
Quelques conflits sans gravité naissaient parfois. Emile Courdy apportait du gravier pour recharger le chemin vicinal et il arrivait que le paysan en utilisât une partie pour réparer son chemin privé ou sa cour de ferme. C'était évidemment interdit mais toléré, sauf quand il avait manifestement exagéré. Mais tout rentrait vite dans l'ordre car la sanction pouvait être sévère : pas de prestations l'année prochaine et paiement de la taxe en liquide!!
Emile Courdy était le grand fournisseur de matériaux aux communes et aux particuliers. Il extrayait le "tout-venant de minière" dans une carrière qu'il avait ouverte près de Moulis. Pas de pelle mécanique pour charger les camions et l'excavation était profonde. Les tâcherons "piquaient" le gravier à la pioche, le lançaient à la pelle sur une plateforme intermédiaire, le reprenaient pour l'envoyer au niveau du sol, puis, une troisième fois pour charger le camion. Un véritable travail de galérien, en plein soleil, et sans un pouce d'air au fond du trou.
Les passages qui enjambaient les fossés pour accéder aux champs ou aux habitations étaient aussi source de conflits : Qui avait cassé les buses? Qui allait les payer? Qui allait les placer? Ces litiges finissaient souvent devant le juge de paix qui officiait chaque mois à la mairie et faisaient le régal des commères en alimentant les potins.
Il existait des situations plus complexes : par exemple lorsqu'il fallait recharger totalement un chemin. Cela nécessitait la formation d'une véritable équipe dans laquelle s'incluaient les cantonniers municipaux et même les cantonniers des Ponts-et-Chaussées qui servaient de moniteurs. Quel casse-tête pour trouver le jour où tous les intervenants seraient disponibles en même temps : X avec sa charrette, Y avec ses vaches, Z avec ses bras. Ces travaux se déroulaient dans une bonne ambiance car les paysans de l'époque étaient habitués à travailler ensemble pour les gros travaux et ils avaient le sentiment d'oeuvrer pour leur confort personnel.
Petit à petit, le nombre d'agriculteurs se réduisant, les communes durent faire appel à des entreprises pour réaliser l'ensemble des travaux : les machines remplacèrent l'homme pour le débroussaillage ou le curage des fossés Le budget municipal exigea de plus en plus d'argent liquide et les prestations disparurent.
Bernard
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