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Un Grognard témoigne
Je quittai mes parents à l'âge de treize ans. J'arrivai
à Morlaix, département du Finistère, chez
un oncle négociant. Je fus son commis durant treize ans.
Il paya mal mes services. En 1792, je m'en allai indigné
de sa conduite à mon égard.. Je pris le parti des
armes dans la compagnie franche des Chasseurs de Morlaix qui,
du choix de tous ceux qui la composaient, me portèrent
au grade de lieutenant. C'est en cette qualité que j'entrais
en campagne avec mes concitoyens pour commencer la fameuse guerre
de la liberté.
Je fis vingt quatre campagnes sans quitter les avant-postes, sauf
pour guérir mes blessures dont trois graves. J'ai payé
de ma personne dans plus de trente batailles rangées, en
France, Italie, Pays Bas, Allemagne, Prusse, Pologne, Russie,
Hongrie, Moldavie, Silésie, Bohême, Bavière,
Hollande Espagne et Portugal. A Dantzig, j'étais avec un
bataillon de 1200 hommes, le plus beau de la garnison composée
de 30 000 combattants qui luttèrent pendant un an contre
une armée de siège de 60 000 hommes, la famine et
la peste.
Cette immortelle garnison, réduite à 12 000 hommes,
militaires et gens de la suite, c'est à dire ces brigands
de tous les siècles admis à la suite des armées
pour les assassiner par leurs rapines dans les administrations,
vrai gibier de potence ou de guillotine, depuis les intendants
en chef jusqu'au dernier manant dit garde magasin. Je ne parle
point des hôpitaux, cela me fait horreur. Cette garnison
capitula enfin . Elle obtint de rentrer en France avec armes et
bagages , soixante cartouches par homme, dix pièces de
canon avec leurs munitions.
A cette époque désastreuse, l'empereur Napoléon
était réduit aux abois par son excessif despotisme,
la trahison, le dégoût de ses armées jadis
invincibles, occasionnés par son ambition déraisonnable
qui fit périr la fIeur du peuple français qu'il
paya de la plus noire ingratitude en détruisant tous les
principes honnêtes de liberté. Il fut presque abandonné.
Il abdiqua, fut conduit à l'île d'Elbe. Les Français
toujours légers, inconstants, le regrettèrent. Il
reparut, brilla un moment, ne voulut point donner à la
France qui l'accueillait de nouveau aucune des institutions libérales
qu'elle lui demandait et qu'elle méritait bien d'obtenir
de celui qu'elle avait laissé s'agrandir sans obstacle.
De nouvelles trahisons, un nouvel abandon de ceux qu'il avait
comblé de bienfaits et l'éternelle légèreté
française ,le conduisirent à Waterloo, journée
mémorable où son armée , sa terrible garde,
périrent victimes de la lâcheté , de la trahison
et des cris de " Sauve qui peut, nous sommes perdus ! "
proférés par les brigands, les lâches émigrés
couverts d'opprobre depuis trente ans et d'habits et décorations
de notre armée qu'ils déshonoraient. Tout était
bon. Ils n'avaient plus d'honneur. Ils étaient d'anciens
nobles.
Napoléon reparut à Paris. Il abdiqua en faveur de
son fils. Il fut conduit à Sainte Hélène
où il fut empoisonné (on se doutait bien par qui,
les rois). Les amis de la liberté tombaient sous la hache
de la tyrannie dans tous les pays d'Europe.
Moi, retiré depuis le licenciement impolitique de l'armée
française, je vivais paisiblement dans cette maison que
j'ai fait réparer. Nous rentrâmes dans nos foyers
avec le titre de brigands de la Loire, fort mal traités
par les réactionnaires méridionaux qui se disaient
royalistes et sans aimer le roy. Ils se composaient de nobles
anciens, des voleurs de courriers de diligences, de banqueroutiers
ou près de l'être, de gens flétris par la
loi ou qui auraient dû l'être. Tous les vauriens en
faisaient parti, les lâches qui avaient abandonné
les drapeaux de la patrie et ceux qui voulaient le pillage des
biens des patriotes ou libéraux et à qui on l'avait
promis.
Heureusement, les grands projets d'assassinat s'évanouirent
devant la fermeté de Louis XVIII qui défendait la
nation de toute son autorité, quoi qu'il ne l'aimât
point et le parti prétendu royaliste fut trompé,
au moins jusqu'à ce jour. Nous ne confondons point ceux
de ce parti qui sont tous attachés à la famille
régnante. Ceux-ci ne désirent le mal de personne.
Les ultras de tous les partis , je les déteste, ce sont
des orgueilleux qui méprisent toutes les institutions,
qui sont méprisables. Par cela seul et malgré eux
je reste ce que je suis.
Monsieur le Chevalier Etienne Fourtet, chef de bataillon d'infanterie
légère à la retraite, jouissant en cette
qualité d'une pension de 1462 fr, accordée par le
roi et de 250 fr de Chevalier de l'Ordre royal de la Légion
d'honneur ;
Marié en 1820 à Mademoiselle Marguerite, Sophie
Groussou. Père en 1831 d'une fille baptisée Zénobie
Marie Joséphine. Mon épouse, âgée de
21 ans, est aimable, bonne, complaisante. Nous vivons heureux
ensemble malgré mes 57 ans. Indépendamment de mes
pensions, nous jouissons d'une fortune en portefeuille de 10 000
fr. De tout quoi je certifie.
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