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Eloge du cèpe
"Cendrié", "Les Balmes", "Borde-Haute",
"La Gayre" ou encore "Les Rieux" sont des
hauts lieux de la cueillette des champignons dans la commune.
Et c'est le cèpe qui reste le plus convoité de tous...
Ce n'est pas faire preuve d'un régionalisme étriqué
que de prétendre qu'il n'y a de bons cèpes que dans
le Sud Ouest et en particulier dans le Périgord et le Quercy.
Il est facile de constater que des espèces en tous points
sensibles ont une saveur sensiblement différente selon
le terroir où elles s'épanouissent. Le cèpe
et la vigne en sont des exemples indiscutables.
Si les Romains ont utilisé une racine d'origine gréco-romaine,
le "boletus", parce qu'il faisait penser à une
motte de terre, les gens d'ici utilisèrent plus judicieusement
le mot gascon "cep", issu du latin qui signifie "tronc",
marquant par là le caractère trapu de ce champignon.
Dans nos régions, on l'appelle aussi boutarel, gotarel,
poutareu...
Parmi les vrais cèpes, deux espèces regroupent ceux
que l'on ennoblit régulièrement du titre de Prince
Noir ou Roi des champignons de nos forêts : le cèpe
de Bordeaux (bolutus edulis) et le bolet à tête noire
(bolutis acrus).
Une saveur divine
Cette divine saveur résulte de la conjugaison de... 70
composés aromatiques. Mais plutôt que les chimistes,
laissons parler les poètes : "Les cèpes cuits
à l'huile avec un hachis de lard et de persil, d'ails et
de queues de cèpes, le tout relevé d'un filet de
verjus, c'est divin" (M. Fournier) ; "L'homme ne vit
pas que de poésie... mais il y a de la poésie dans
un bon dîner servi... je ne pouvais me rassasier d'un bon
plat de cèpes en sauce, comme jamais ne n'en ai tâté"
(E. le Roy).
Le cèpe était déjà apprécié
des Romains. Pour Pline, "les cèpes semblent le seul
véritable aliment digne des personnes raffinées,
qui les mangent par avance en pensée". Il ajoute que
ces amateurs, issus des classes privilégiées, "les
préparent eux-mêmes de leurs mains, avec des couteaux
d'ambre dans de la vaisselle d'argent".
Un aliment sain
On attribue au cèpe des qualités nutritives qui
l'ont fait assimiler a une "viande végétale".
Cet éloge est un peu excessif mais non sans fondement.
Bien que composé de 90% d'eau, le reste de sa composition
s'équilibre entre protéines, glucides, vitamines
et sels minéraux. Pour parfaire ses bienfaits, le cèpe
recèle très peu de calories, ce qui lui confère
une qualité diététique d'actualité.
"Rien n'est réparateur, tonique, comme une omelette
de cèpes" (L. Daudet).
Le vrai cèpe présente en outre une absence de toxicité,
seul un excès, comme en tout, entraîne quelques lourdeurs...
Même les faux cèpes ne sont véritablement
dangereux !
Des vertus médicales
Dès la Rome antique, Pline, dans son "Histoire naturelle"
mentionne que "les cèpes remédient aux écoulements
intestinaux, aux rhumatismes et ont un effet sur les taches des
visages des femmes. On peut en faire des applications, avec de
l'eau pour les ulcères sordides, les éruptions de
la tête et les morsures de chien".
Le cèpe se voit même gratifié ça et
là du titre de champignon aphrodisiaque : "Un bon
magret, un plat de cèpes... et soupirer auprès de
quelque nymphe émue" (H. Brives).
Une importance économique
Le début du siècle a vu se multiplier les marchés
aux cèpes dans le Sud Ouest. Certains marchés sont
restés ou redevenus célèbres : Vaïssac
dans le Tarn et Garonne, les Barrières dans le Tarn, Villefranche
du Périgord en Dordogne, par exemple. Beaucoup de paysans
de nos régions complétaient leurs revenus grâce
à la cueillette des cèpes. Je me souviens d'un oncle
périgourdin qui collectait les cèpes dans les campagnes
l'après-midi, en remplissait sa camionnette, et partait
dans la nuit pour le marché en gros de Bordeaux, et ainsi
de suite... Il mangeait en conduisant. Il était aussi malin
que courageux. Il avait son réseau de fournisseurs. Tout
se passait dans la discrétion, on se rencontrait comme
par hasard. Pas d'éclat de voix, pas de tapes dans les
mains, la monnaie passait discrètement de la main à
la poche. C'était du bénéfice net, et ce
commerce a contribué à l'évolution de régions
très pauvres. Cela n'a pas complètement disparu.
Le cérémonial de la cueillette
Dans mon village du Périgord, la nouvelle cueillette s'annonçait
quand rentrait pour la première fois, en milieu de matinée,
le Maurice, le meilleur chercheur du village, la poche gonflée
d'une tête ronde qu'il avait du mal a dissimuler. Le panier,
ce serait pour plus tard ! Vous apprendra-t-il qu'ils poussent
? "Non... Mais ils vont peut-être se trouver dans les
fonds, mais il faut marcher beaucoup, et encore faudrait-il qu'il
pleuve, qu'il fasse chaud à nouveau".
Les cueilleurs n'étaient pas bavards quand commençait
la cueillette. Ils ne comparaient pas leur trouvaille avec celles
des voisins qu'au coeur de la saison, quand le mystère
de la première pousse et le privilège des bons coins
leur échappait malgré tout. Alors, ils pouvaient
indiquer sans trahir leurs secrets, la direction du coin propice
en pointant leur bâton dans sa direction, à 1 km
et à 30 degrés près... là-bas, vers
les Crozes ou les Sorbiers ou les Galèges.
Cet état d'esprit amusant n'a pas tout a fait disparu.
La récolte des champignons est une source inépuisable
d'anecdotes.
Mais maintenant, la venue en masse des citadins dans les bois
change la donne. Des "étrangers" sont venus fouler
le bois de leurs pieds malhabiles. De véritables razzias
sont même organisées pour la revente... alors que
le propriétaire du bois, qui doit donner la priorité
à son travail, arrive souvent après les prédateurs.
Aussi, les propriétaires ont-il tendance à s'organiser
et à interdire leurs bois.
Il faut toutefois espérer que les amateurs de cèpes,
dont le but est de faire une agréable et saine promenade,
et d'avoir l'émotion de trouver quelques têtes noires
pour déguster une succulente omelette pourront continuer
à vivre leur passion.
En effet, il y a dans la cueillette des champignons de la patience,
une sorte de naïveté et un goût pour ce qui
est sauvage et gratuit. Quand on cueille un cèpe, on a
le geste religieux, plein de respect pour la chose rare de laquelle
émanent toutes les bonnes odeurs des bois. "Ces cèpes
rares et modestes qui se cachent sous les fougères et les
feuilles mortes, s'aplatissent, recherchent l'ombre des sous-bois,
semblant pressentir la poêle et la conserve" (L. Bourliaguet).
Jean-Luc Audy
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