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Le 3 mars 1930
La meurtrière crue
du Tarn
A deux reprises, dans les numéros 21 et 34, Entre-Nous
a évoqué les crues du Tarn et plus particulièrement
celle du 3 mars 1930. Une nouvelle fois, à l'occasion de
son 70 ème anniversaire, notre revue rappelle , à
partir de témoignages inédits, ce que fut ce drame.
En effet, Mauricette FONTANIER m'a remis récemment un dossier
réalisé par ses élèves et ceux de
son mari du temps où ils exerçaient ensemble comme
instituteurs à l'Ecole publique de BIO, lieu-dit de la
commune de Montauban. Ce document, rédigé suite
à l'émotion suscitée par la crue de 1962,
est écrit au porte-plume et richement illustré.
Il revêt à mes yeux une double valeur : il est l'oeuvre
d'enfants (qui ont certes bien grandi depuis !) et il rapporte
des témoignages émouvants très concrets,
dont celui d'un Villebrumiérain, mon oncle Sylva JAMME
qui compta parmi les tout premiers sauveteurs.
Voici donc de larges passages de cette enquête... Notre
vallée du Tarn conserve le souvenir de la terrible inondation
de 1930. Nous avons interrogé nos parents et nos voisins.
Nous avons aussi écrit pour obtenir des renseignements
et nous avons consulté quelques brochures. Ainsi, Jeanine
DELLA SIEGA note: " J'ai écrit une lettre à
Monsieur JAMME car nous faisons une étude sur l'inondation
de 1930. Notre institutrice nous a dit votre attitude courageuse
au cours des sauvetages. Il serait très intéressant
pour nous de connaître vos souvenirs à ce sujet.
"; Une semaine plus tard, nous avons reçu 8 grandes
pages. Monsieur JAMME indique: "Si je voulais vous raconter
tous les souvenirs que je garde, il me faudrait sûrement
plus de 100 pages pour vider ma mémoire".
Voici le résultat de notre enquête.
L'Ecole de Bio
Notre école de Bio a été construite après
l'inondation de 1930, vers 1932. Auparavant, elle se situait de
l'autre côté de la route et occupait le premier étage
au-dessus du Temple protestant. L'eau détruisit tout, sauf
le préau qui resta debout et où on lit aujourd'hui
le niveau atteint: 2,30 mètres. La soudaineté de
l'inondation
Le Tarn monta de 6,30 m en 24 heures. Monsieur JAMME nous écrit:
" Personne ne croyait que le Tarn sorte de son lit. Dès
l'aube du 3 mars, il allait en quelques heures monter de plusieurs
mètres. Beaucoup de fermes furent cernées par les
eaux venues par derrière et les habitants furent pris au
piège. Négligeant l'importance des flots, ils se
réfugièrent chez eux: mais le Tarn monta toute la
journée à environ 50 cm à l'heure. Son courant
était tel qu'il roulait à 9 ou 10 mètres
à la seconde. Voilà pourquoi la population riveraine
se laissa surprendre par la crue".
Monsieur ESTABES, de MOULIS, témoigne: "Le
matin quand nous nous sommes levés, il y avait 30 centimètres
d'eau dans la cuisine. Nous sommes sortis. La maison s'est écroulée
et nous nous sommes réfugiés sur le tas de ruines."
Jeanine, une fillette, note: "Quand ma Mémée
et ma maman qui avait 7 ans à ce moment-là ont vu
arriver l'eau, elles ont pris des couvertures et de quoi manger
et elles sont montées au coteau. Elles ont regardé
vers la plaine. Maman m'a expliqué : " 'était
affreux de voir l'eau détruire les habitations! Je regardais
la maison de Mémée pour voir si elle résistait.
Au deuxième matin, elle a été démolie.
J'ai pleuré parce que je me demandais s'il faudrait toujours
vivre sur le coteau. Mémée avait construit une petite
maison avec des roseaux et de la paille pour nous abriter un peu".
Edwige PAVAN, de Saint Nauphary, déclare: "J'avais
huit ans. L'alerte a été donnée par les sirènes
et les cloches des environs. Du haut du coteau, on voyait une
immense étendue d'eau recouvrant terres et maisons, emportant
des meules de paille, des arbres déracinés, des
bêtes mortes. Nous entendions des personnes crier "Au
secours !". Beaucoup de sinistrés sont venus se réfugier
au village chez des amis ou des parents ou chez ceux qui avaient
un local pour les loger".
Monsieur FOGATO explique : "Dès que nous avons été
avertis par les voisins, nous sommes partis à deux heures
du matin avec les boeufs et le cheval. Nous venions juste de tuer
le cochon qui a été emporté par l'eau. Nous
sommes allés au château de Beaudésert où
nous sommes restés quinze jours à peu près.
De là, nous regardions le bateau de Monsieur Ausset qui
allait chercher les gens dans les maisons".
Monsieur GUIRAL indique: "J'ai pris le cheval et la remorque
et j'ai porté les vieux et les infirmes sur le coteau.
Les gens n'avaient jamais vu d'inondation, alors ils n'étaient
pas partis, ils croyaient que l'eau resterait à 50 cm de
hauteur, mais elle est montée à 2,50 mètres.
Les maisons s'écroulaient en faisant un grand fracas et
un nuage de poussière".
Madame BONGRAT raconte que "sa mère était
montée au grenier avec ses lunettes, la Bible et la chaufferette".
Monsieur BONOTTO se souvient: "Des paillers entiers étaient
emportés sur lesquels on voyait parfois quelques volailles.
On apercevait aussi passer des charrettes, des meubles, des chaises,
des troncs d'arbres. Beaucoup de maisons étant cernées
par les eaux, les gens montaient sur les toits en attendant du
secours.
Madame LAFON se rappelle que "les vaches beuglaient, les
gens appelaient au secours, les chiens hurlaient. Nous avons pris
l'argent, le cochon et quelques habits pour nous réfugier
chez des voisins au coteau". Le débit moyen du Tarn
est de 75 mètres-cubes à la seconde. Sa crue catastrophique
a débité 6100 mètres-cubes à Montauban
(soit 35 fois plus) et 8000 à Moissac. Elle a inondé
30000 hectares de terres (soit 1/12 du département), démoli
près de 3000 maisons, arraché 13000 arbres fruitiers,
frappé 5500 sinistrés et causé la mort de
200 personnes.
L'extrait suivant des procès-verbaux du Conseil municipal
d' ALBEFEUILLE LAGARDE donne une idée de l'étendue
des dégâts: "Sur 454 habitants, 326 ont vu leur
demeure envahie par le flot dévastateur. Sur 120 maisons
d'habitation ou fermes que compte la commune, 102 ont été
ensevelies et sont presque entièrement détruites.
A LA PAILLOLE, seule l'école a résisté. A
La BARTHE, une seule ferme ne s'est pas écroulée.
A LAGARDE, ce n'est qu'un amas de ruines et les trois maisons
encore debout menacent de s'effondrer car le Tarn s'est élargi
de 20 mètres et n'est plus qu'à 10 mètres
des belles habitations qui existaient. Nous avons a déplorer
la mort de 6 personnes retrouvées sous les décombres
ou emportées par le courant".
Les causes de l'inondation
Les pluies d'hiver avaient été très abondantes
et avaient saturé le sol. Les pluies méditerranéennes
qui surviennent en général en automne, se produisirent
fin février et elles couvrirent une large bande de terrain
qui s'étend du cours moyen du Tarn, de l'Agoût et
de l'Aveyron. Les chutes d'eau furent énormes sur de vastes
espaces. Le Tarn étant très encaissé déborde
rarement, ses eaux peuvent monter de 7 à 8 mètres
sans qu'il sorte de son lit. Mais cette fois-ci, il subit une
poussée inouïe de l'Agoût.qui atteignit une
hauteur de 21 mètres au-dessus se son étiage. Ainsi,
le Tarn monta de 11,90 mètres à Montauban.
Les sauvetages
"Au bout de trois jours, les sapeurs-pompiers de Toulouse
sont venus les chercher avec des barques. Avec Monsieur ESTABES,
ils sont allés ensemble vers toutes les maisons de Moulis
pour voir s'il s'y trouvaient des gens. Dans l'une, ils ont entendu
crier un bébé: ils ont trouvé une petite
fille d'un mois et demi dans le grenier. Ses parents avaient disparu".
"La jeune fille avait supplié son voisin de bien
vouloir sauver ses parents; Malgré sa fatigue, ce pauvre
homme ne refusa pas. Il prit sa barque et un échelle et
demanda à M. et Mme BONGRAT de descendre".
Sylva JAMME écrit: "Il faut dire qu'ici, à
Villebrumier, un coup de téléphone venu du Moulin
de Saliens donna l'alerte. M. et Mme de SAINT VICTOR, dès
8 heures du matin, demandaient à être sauvés,
ce qui fut assez facile à ce moment-là, une petite
barque étant à notre disposition. Ces personnes
secourues, mon ami Aimé COULON, propriétaire de
la barque, me dit qu'il fallait aller voir du côté
des Graves si les fermes ne contenaient pas des habitants. Nous
partîmes à l'aventure avec deux autres camarades,
MALPEL et SAHUC, contremaître à l'usine de Saliens.
Ce ne fut pas facile. Dès le départ, un tertre faisait
comme une chute d'eau et notre barque piqua du nez. Le courant
prit l'embarcation de flanc: elle allait s'enfoncer et nous allions
chavirer. Je sautai à l'eau et je l'ai retenue. Quelques
mètres plus loin, je remontais dans le bateau, mouillé
de la tête aux pieds. Les flots montaient toujours. A la
première ferme que nous avons abordée, un homme
seul était là. Son chien hurlait à la mort.
Ses vaches et ses boeufs beuglaient de peur. Nous les détachâmes
et les animaux, mieux que les hommes, se sauvèrent à
la nage.
Nous remontions le Tarn quand nous entendîmes: "Par
ici la barque!". Nous ramions de toutes nos forces du côté
des voix. Nous vîmes perchés sur un arbre près
d'une maison effondrée, un homme et une femme. Ils avaient
passé la nuit dans l'eau jusqu'aux genoux agrippés
au tronc. Ils n'en pouvaient plus! La femme était tombée
à l'eau et son mari l'avait soutenue. Nous les secourûmes.
Leur premier mot fut: "Allez voir notre fils!". Nous
l'entendions gémir sous les décombres. J'y suis
allé et je l'ai trouvé coincé sous une poutre.
Il vivait et vit encore.
Chez ALIAS où il y avait neuf personnes, nous avons risqué
notre vie. La barque avait abouti contre un mur. Ces personnes
se trouvaient sur les greniers de la ferme et se montraient à
une petite fenêtre. Nous n'avions aucune échelle.
Nous décidâmes que j'en ferai une avec mon corps
et que se tenant à moi, mes camarades les attraperaient
et les feraient aller sur la barque. Mais nous n'avions pas prévu
qu'à ce moment précis le mur s'effondrerait. Je
fus ainsi englouti dans les flots. Ce fut un moment de désarroi
parmi nous tous. Mes camarades surpris furent projetés
dans la barque contre le mur d'un pigeonnier se trouvant à
quelques mètres. Moi, j'en fus quitte pour la peur. Le
plancher ayant lâché d'un seul côté,
les neuf personnes n'eurent que quelques bosses et ce fut tout.
En faisant le tour de la maison, nous les sauvâmes par l'intérieur,
en prenant le risque bien sûr de recevoir la toiture sur
la tête.
Vers 4 heures du soir, nous avions sauvé, je l'ai su après,
46 personnes. "
Ainsi, la "Fondation Carnegie pour les Héros civils
a décerné une plaquette de bronze à Monsieur
JAMME SYLVA en témoignage de l'acte de dévouement
qu'il accomplit lors des inondations du Midi au mois de mars 1930"
Un autre héros
Adolphe POULT était un jeune homme sportif, fils du propriétaire
de l'importante biscuiterie de Montauban. Il possédait
une barque légère et très mobile grâce
à laquelle dans les premières heures de l'inondation
il sauva des dizaines de personnes. Accompagné d'un camarade,
il allait sans relâche à travers les maisons démolies
du quartier de Villebourbon ramenant dans sa fragile embarcation
les gens désespérés qui avaient été
surpris chez eux par la brusque montée des eaux.
Voici qu'un militaire a été vu accroché à
un arbre sur l'île du Tarn. Sans hésitation, Adolphe
POULT et son compagnon se dirigent dans cette direction. Le militaire,
à l'approche des secouristes, prend son élan et
saute dans la barque... qui chavire. Adolphe, épuisé
par sa journée d'efforts incessants, bousculé par
les flots en furie, ne put retenir la barque ni s'accrocher aux
arbres. Il périt noyé. Un quai de Montauban porte
son nom. et un vitrail de l'église de Villebourbon le représente
avec sa barque".
Mise en forme, Guy
Un risque toujours d'actualité
En février 2000, la Préfecture de Tarn et Garonne
a publié une plaquette intitulée " Information
préventive sur les risques naturels et technologiques majeurs
"
Un chapitre est consacré à l' "Inondation".
106 communes du département sont concernées par
ce risque, dont 88 sont prioritaires pour l'annonce des crues,
parmi lesquelles Villebrumier essentiellement pour le lieu-dit
"Lamothe". Parmi les mesures de prévention prises,
figure "l'interdiction de construire dans les zones les plus
exposées et les mesures restrictives (...) imposées
au plan d'occupation des sols.; la surveillance de la montée
des eaux par des stations de mesure; l'alerte d'un service d'annonce
des crues..."
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