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Article du "Journal du Palais"
| La taupe | Recette d'Andrée
La taupe
Tout le monde a souvent vu, dans son jardin
ou dans un pré, s'élever ce petit tas de terre que
l'on appelle " taupinière " et quel est le jardinier
qui n'a pas maudit la bête qui, en une nuit, a soulevé
la terre de son semis de salades. Moins nombreux sont ceux qui
ont vu une taupe vivante, l'ont prise dans leurs mains et ont
caressé son pelage si doux et incroyablement propre. Mais
quels sont ceux d'entre nous qui connaissent les moeurs et les
habitudes de cet animal discret et pourtant si familier ?
La main de la taupe
Pourtant, dès que l'on commence à
s'intéresser à cette petite bête, on se rend
compte quels trésors d'habileté elle a dû
mettre en oeuvre pour survivre dans un monde de moins en moins
fait pour elle.
En effet, la taupe est, à l'origine, un animal adapté
à la vie dans les bois. La déforestation intense
qui a caractérisé la prolifération des hommes
en Europe au cours des 20 derniers siècles l'a obligée
à s'habituer à vivre dans d'autres types de paysages.
Il est intéressant d'ailleurs de voir l'évolution
des sentiments que l'homme porte à cet animal. Longtemps
considérée comme nuisible à cause des taupinières,
on croyait alors qu'elle mangeait les racines et détruisait
les plantes : ce crime était puni de la peine de mort.
Au18ème siècle, on observe qu'elle se nourrit essentiellement
de vers de terre et devient alors un animal utile qu'il faut protéger.
Mais au 19ème siècle, les zoologues et les agronomes
se rendent compte du rôle essentiel que jouent les vers
de terre dans la fabrication de l'humus et dans l'ameublissement
des sols : le ver de terre devenant un animal utile, la taupe
" a contrario " redevient un animal nuisible. De plus,
dans les années 1920-30, la mode des manteaux en peaux
de taupe fut lancée. Comme il fallait de 600 à 800
peaux pour fabriquer un seul manteau, l'espèce faillit
être exterminée (au début, certains piégeurs
arrivaient à en tuer jusqu'à 8000 par an !). Heureusement,
cette mode ne dura pas très longtemps et, vers 1960, les
derniers piégeurs cessèrent leur activité.
La taupe est un petit animal de 14 centimètres de longueur,
sa queue, elle, mesure environ 3 cm. La femelle est un peu plus
petite que le mâle. Le museau est long et pointu; les yeux,
minuscules, sont cachés dans le pelage et les oreilles
externes ne sont qu'un simple repli. De longs poils tactiles entourent
la tête et le museau. La fourrure veloutée, gris
foncé ou presque noire est rase, serrée et très
fine. Elle offre la particularité d'être plantée
perpendiculairement à l'épiderme ce qui fait qu'elle
n'est jamais " à rebrousse poil " quand l'animal
doit faire marche arrière dans une galerie.
Ce qu'elle a de plus étonnant c'est quand même sa
"main", transformée en pelle d'une efficacité
redoutable pour ses travaux de terrassements. Cet outil ressemble
étrangement à une main humaine, armée de
griffes redoutables, mais le reste du membre est enfoncé
dans le corps : seule la main émerge de la fourrure.
Si la taupe est presque aveugle, elle entend parfaitement le moindre
bruit qui se répercute et s'amplifie dans les galeries
mais surtout ressent toutes les vibrations du sol, qu'elles soient
provoquées par des pas à la surface ou par un animal
qui bouge près d'elle. Les longs poils tactiles qui entourent
son museau sont les organes récepteurs principaux.
Sa vie (une taupe vit en moyenne trois à quatre ans) est
partagée en deux : les périodes de chasse et les
périodes de sommeil; 4 heures de chasse suivies de quatre
heures de sommeil. La taupe est uniquement carnivore. Pour chasser,
elle parcourt ses galeries à grande vitesse, 1 m par seconde
soit 3,6 km/ h ce qui est considérable et dévore
tout ce qu'elle rencontre : vers de terre évidemment, mais
aussi carabes, vers blancs, chenilles et chrysalides, courtilières,
mille-pattes. Si la terre est riche, les 250 m de galeries qu'elle
" possède " suffisent pour la rassasier. Ces
galeries forment un labyrinthe, un réseau en forme de toile
d'araignée qui piège systématiquement tout
animal passant par là. Elle n'éprouve alors pas
le besoin de creuser des galeries supplémentaires et pendant
des mois ou même des années, elle peut vaquer à
ses occupations sans signaler sa présence à l'extérieur.
(Donc dire : je ne vois pas de taupinière, c'est qu'il
n'y a pas de taupe, est une erreur. )
Si cette méthode n'est pas suffisante pour se nourrir,
la taupe utilise une seconde manière de chasser : elle
parcourt beaucoup plus lentement ses galeries et " écoute
" toute vibration provoquée par un animal qui creuse
à proximité. Il lui suffit alors de creuser sur
quelques centimètres pour " cueillir " sa proie.
Elle tire tout d'abord sur le ver pour le faire venir en entier
dans la galerie puis elle le coince avec ses pattes et le porte
à sa bouche par l'extrémité qui gigote le
plus (en général la tête). Elle le déguste
par petits tronçons. Le fait que le ver est coincé
entre deux doigts lui permet de le vider de la terre qu'il contient
et qu'elle n'ingère pas. En quelques secondes la bête
est avalée et la chasse peut reprendre.
Si cette seconde méthode n'a pas été efficace,
il ne lui reste plus que la troisième : creuser une nouvelle
galerie pour allonger son territoire de chasse. C'est alors que
vous verrez apparaître des taupinières. En effet,
la terre de déblai doit être évacuée.
D'abord la taupe va la repousser vers des parties de galeries
qui ne sont plus " rentables ", puis elle creuse une
galerie verticale qui aboutit à la surface. Elle pousse
une quantité de terre égale à 10 fois son
poids. Pour cela elle plante ses pattes arrières dans la
paroi et se sert des pattes avant comme d'un bouclier entre la
terre et sa tête. D'un coup de rein, elle fait avancer la
charge de quelques centimètres puis prend un nouvel appui
pour avancer de nouveau (les piliers de rugby utilisent la même
méthode).
La taupe dans sa galerie
Les galeries creusées par la taupe s'étalent
sur plusieurs niveaux : un réseau de surface au ras du
sol, facile à creuser mais souvent éboulé,
(c'est celui-là que redoutent les jardiniers), un réseau
moyen à 10 ou 15 cm de profondeur et un réseau profond
souvent à 50 cm sous le sol. Les réseaux profonds
posent un grave problème de ventilation En effet; la taupe,
comme tous les mammifères respire par des poumons. Or l'air
de ces galeries est très vicié : 6 à 16%
d'oxygène au lieu des 21 % réglementaires et 10
à 55 fois plus de gaz carbonique que dans l'air normal.
Heureusement la taupe possède un appareil respiratoire
extraordinaire : des poumons gigantesques, deux fois plus gros
que pour les autres animaux, une quantité de sang énorme
: 8% du poids du corps au lieu de 4% chez le campagnol, par exemple.
De plus, ce sang contient une quantité d'hémoglobine
double de celle des autres animaux (seul le lama qui vit dans
l'air raréfié des Andes en possède autant).
Enfin la terre meuble des taupinières ainsi que quelques
évents soigneusement cachés dans une touffe d'herbe
laissent circuler quelques courants d'air bien agréables
dans les galeries. La taupe gère continuellement cette
aération en fonction du climat extérieur et de ses
besoins en oxygène. C'est pour cela que, dès que
le jardinier a démoli une taupinière et tassé
la terre tout autour, elle remonte à la surface pour rétablir
cette aération.
Les taupes sont des animaux solitaires. Chacune, mâle ou
femelle possède un réseau de galeries qu'elle défend
jalousement. Mais à la fin de l'hiver, les femelles sont
en chaleur et les mâles quittent leur territoire pour les
rejoindre en creusant à toute vitesse une galerie, parfois
même en courant sur le sol. Ils quittent la femelle dès
qu'elle est fécondée et rejoignent leur territoire.
Les petits naissent fin Avril dans un nid bourré de feuilles
sèches et profondément enfoui. Les quatre petits
sont rouge vif à la naissance et vont changer de couleur,
roses, gris ardoise puis noirs en quelques semaines. Ils vont
aussi grossir très vite, passant de 3,5 g à la naissance
à 60 g en 3 semaines (imaginez un bébé pesant
3,5 kg à la naissance et qui ferait 60 kg au bout de 21
jours!). Mais la nourriture est abondante à cette période
de l'année et la mère n'a pas trop de peine à
leur fournir un lait particulièrement riche.
Les petits vont vivre avec la mère encore un mois, puis
elle les chasse car la nourriture devient insuffisante pour 5.
Les jeunes montent à la surface et partent à la
recherche d'un territoire. Ils sont alors très vulnérables
et la plupart périssent sous le bec d'une chouette ou la
dent d'un renard. L'idéal pour eux est de trouver un réseau
de galeries abandonné par une taupe décédée
car si l'occupant est toujours là, une furieuse bataille
s'engage et le jeune est en général chassé.
L'hiver, la taupe n'hiberne pas, elle n'a aucune réserve
de graisse qui lui permettrait d'attendre des jours meilleurs.
Comment alors se nourrir quand la terre est gelée et que
les insectes sont engourdis par le froid? Aucun problème
: la taupe a inventé la conserve.
Pendant les pluies d'automne, lorsque les vers de terre pullulent,
la taupe en trouve beaucoup plus qu'elle ne peut en manger. Elle
continue cependant à les chasser, mais, d'un coup de dent
elle leur coupe la tête. Les vers ne peuvent plus bouger
et se roulent en boule. Elle les stocke ainsi dans des cachettes
près de son nid. Un savant a ainsi trouvé un "garde-manger"
rempli de 1280 lombrics emmêlés les uns avec les
autres. Mais en général elle multiplie les petites
cachettes contenant chacune quelques vers. Si elle ne trouve rien
à manger, elle a ainsi une réserve de nourriture.
Et les vers de terre me direz-vous? Si le printemps arrive et
qu'ils n'ont pas été dévorés, une
tête leur repousse. Ils peuvent alors creuser une galerie
et s'échapper.
Il ne reste plus à la taupe qu'à creuser un nouveau
nid car l'ancien est infesté de puces et d'acariens. Ce
nouveau nid est presque toujours construit près de l'ancien.
C'est ainsi que, en comptant ses nids successifs, on peut déterminer
facilement son âge.
La taupe ne vit pas vieille. Elle meurt en général
d'inanition. En effet ses dents très pointues ne repoussent
pas et s'usent très vite en raison des grains de sable
contenus dans les lombrics. Un jour vient où elle ne peut
plus les mâcher. Ses galeries patiemment construites ne
seront pas perdues pour tout le monde : un jeune ou un voisin
va aussitôt les occuper. C'est pour cela que le jardinier
ne comprend pas pourquoi, après avoir tué une taupe,
il voit rapidement émerger de nouvelles taupinières.
Bernard
Sources : "La Hulotte"
et
"L'encyclopédie universelle des animaux"
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