Quand marins et meuniers peuplaient le Tarn
Nombre de communes,
dont Villebrumier, Reyniès et Corbarieu, pour notre canton, mais
aussi Nohic, Orgueil, ou Labastide Saint-Pierre, sont riveraines du
Tarn qui fut longtemps source de richesse.
Ceux qui douteraient du rôle joué par notre
rivière, sont invités à lire, ou relire, le Hors
Série Supplément au n°46 de Entre Nous (Juin 2000) :
"Le Tarn du Moyen-Age au XIXème siècle, un atout majeur
dans le développement économique de l'Est Aquitain",
texte de la conférence de Guy Astoul. Un autre article, paru
dans le n°14 de Juin 1992, signé Jeanine, apportait
déjà un éclairage sur le pouvoir économique
du Tarn, concernant plus particulièrement la période de
1800 environ à 1923 qui est la date du déclassement de la
rivière de la liste des voies navigables. De plus, le Tarn
était, et est encore, une source d'énergie. Autrefois les
moulins tiraient de l'eau une force mécanique tandis
qu'aujourd'hui c'est, le plus souvent, une force électrique qui
est produite par la rivière.
L'on connaît donc l'époque de cette
cessation d'activité économique, de cette mort de la
navigation sur le Tarn, suivie de l'époque où le tout
électrique a supplanté l'engrenage et le pignon
fabriqués en bois ou en fer…
Mais que sait-on des premières digues jamais construites sur le
Tarn et des premières descentes en radeau ou autre corps
flottant, par les premiers apprentis navigateurs, sur ce même
cours d'eau ?
Afin de tenter de répondre à cette question, quelques
jalons, pris au hasard dans l'Histoire et les petites histoires, nous
seront utiles pour remonter le temps. Le temps des marins et des
meuniers.
De leur naissance à leur décès, un grand nombre
d'hommes et de femmes ont vu le Tarn modifier, organiser, rythmer leur
vie. Pour s'en convaincre, il suffit de se rendre à Villemur qui
a été un port actif employant beaucoup de marins, certes
des marins d'eau douce, mais des marins qui naviguaient souvent loin de
leur demeure.
La preuve en est ici apportée par deux actes de naissance d'une même famille.
Le 21 Juin 1856 (Acte n°131) naît la petite Marie
Ménestral, la fille de Ménestral Bertrand (marin) et de
Sabatier Antoinette (ménagère). Habituellement, il
revient au père le devoir de se rendre en mairie pour
déclarer la naissance… Or, ce dernier est à
Bordeaux !!! C'est donc, sur réquisition, que la sage femme
jurée s'acquitte de cette formalité administrative.
Le 17 mai 1860 (Acte n°95) c'est au tour d'Arnaud Ménestral
de naître, et, à nouveau, la même sage femme
jurée déclare la naissance à la place du
père, car celui ci est à Alby (Albi).
Comme on vient de le voir, parfois le Tarn dicte sa loi lors d'heureux
événements, mais il semble la dicter au quotidien, au
jour le jour et à tous lors des crues et tout
particulièrement à ceux qui vivent sur ses eaux. Il se
permet de profiter des naufrages pour prendre la vie de quelques
infortunés marins.
Et ceci depuis très longtemps…
Depuis très longtemps ? Peut être que la navigation existe
depuis longtemps… mais pas autant que les moulins semblent
vouloir affirmer leurs propriétaires !
Remy Cazals, historien de Carcassonne, co-auteur du livre "Le Tarn,
mémoire de l'eau, mémoire des hommes" (Editions Belle
Page) au chapitre "Moulins et usines" précise qu' "un moulin
à nef, selon des textes, existait à Villebrumier en 1696".
Un moulin à nef est un moulin, mais il "navigue" car il est
composé de deux barques afin de supporter une roue verticale. De
plus, il est "rattaché à la rive par une amarre, pouvait
être déplacé pour ne pas gêner… la
navigation".
Donc la navigation existait déjà elle aussi!
Et même avant 1696 ! En effet, les vins de Gaillac traversaient
l'Aquitaine devenue anglaise (par le mariage d'Aliénor avec
Henri II Plantagenet en 1152); jusqu'aux environs de 1370, au moyen de
barques descendant le Tarn et la Garonne, avant de se retrouver sur les
tables de Londres.
Nous en sommes déjà au début du 2ème
millénaire, et il n'est toujours pas possible de savoir qui des
meuniers ou des bateliers ont été les premiers à
utiliser les eaux du Tarn !
Le même Rémy Cazals nous apprend que "dès l'an 936,
le comte de Toulouse Raymond-Pons, lorsqu'il fonde le monastère
de Saint-Pons de Thomières, à Saint-Saturnin de Bison,
qui deviendra Labastide-Rouairoux (enn limites du Tarn et de
l'Hérault), il fait don à ce monastère, entre
autre, de tous les moulins et digues établies, tant pour la
pêche que pour la mouture".
Argument encore plus frappant : les moulins hydrauliques, beaucoup plus
nombreux que les moulins à vent, auraient été
inventés dès le premier siècle avant
Jésus-Christ. Ils sont pour les uns équipés de
meules pour obtenir de la farine de blé, le seigle ou de
l'huile, pour les autres de scie ou de maillets pour battre le fer ou
le cuivre ou encore de la laine, parfois du chiffon pour produire de la
pâte à papier… Ils servent à bien d'autres
utilisations comme produire du pastel, du plâtre ou du tanin pour
le cuir, écraser des châtaignes, presser du cidre ou
aiguiser les fers d'outils.
Ainsi, la navigation existait avant les moulins et les digues ! peuvent
rétorquer les maîtres de bateaux, car Paul Ambert
(géomorphologue) et Alain Vernet (archéologue), autres
co-auteur du même livre "Le Tarn, mémoire de l'eau,
mémoire des hommes", signalent que : "du bois était
flotté, en amont des gorges du Tarn, afin d'approvisionner les
fours des potiers. Ces potiers travaillant aux ateliers de Montans en
aval de Gaillac, pour ne citer que ceux là, exportaient, via le
Tarn et la Garonne, leur production dans tout l'empire romain jusqu'en
Afrique et en Asie".
Et cela aurait commencé, dès avant le premier
siècle de notre ère, à l'époque de la Gaule
romaine !
Donc les bateaux existaient bien avant la mise en place de cette exportation de masse.
Il nous est difficile d'imaginer que, pendant des dizaines et des
dizaines d'années (de l'An 10 av J-C aux années 250, soit
près de trois siècles), des quantités
phénoménales de pièces de vaisselle ont
transité sur le Tarn, à hauteur des ponts de Villebrumier
et Reyniès qui n'existaient évidemment pas… pour
ainsi dire sous nos yeux, si nous avions vécu à cette
époque !
Il est illusoire et même impossible, de vouloir trancher la question et départager ces "utilisateurs" d'eau vive.
A quelle date à été enfoncé le premier pieu
et déposé le premier bloc de pierre afin de bâtir
la digue du premier barrage sur le Tarn entre Villemur et Montauban ?
A quelle époque est passé le premier
radeau, le premier bateau sur cette même portion du cours d'eau ?
Aucun document fiable n'est en mesure d'apporter une réponse définitive !
Jean-Louis
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