Artisans du village
Raoul
Astoul est décédé, au mois d'avril dernier, dans sa 86ème année. Bien
que demeurant à 'Flouquet', sur le territoire de Nohic, il était, avec
sa famille, très lié à Villebrumier. Non seulement il lisait
Entre Nous, mais, en plus, il figurait parmi ses 'écriveurs'. Notre
bulletin a publié plusieurs passages de " Mémoires ", l'ouvrage qu'il
avait écrit. Ces pages évoquent, comme ci-contre, la vie de notre
village autrefois au travers des rites mais aussi de ses artisans,
commerçants, notables et autres personnages pittoresques. Par ailleurs,
il avait fourni de nombreuses contributions pour témoigner, par exemple
de son expérience des 'Chantiers de Jeunesse'. Ses écrits constituent
une source d'où il est encore possible de puiser quantité
d'informations propres à faire revivre le passé local.
Quelques artisans sédentaires Le
cordonnier avait pignon rue Haute. "Lo Saborin" ressemelait les
souliers "du dimanche", car en semaine on marchait pieds nus ou avec
des sabots. Les chaussures du mariage duraient toute une vie ! Deux
coiffeurs, existaient encore en 1930 à Villebrumier : les frères
Barthélémy. L'aîné, François, avait appris le métier à la guerre et
possédait son salon en face de la boulangerie Cogoreux. Il n'exerçait
son art que le soir et le dimanche, car dans la journée il cultivait
ses terres sur le coteau, du côté de Noble. Presque tous les hommes se
faisaient raser une fois par semaine, les plus coquets venaient se
faire "racler la couenne" deux fois. Il recevait tous les jours des
clients, aussi les conversations allaient-elles bon train, chacun en
attendant son tour. On colportait les ragots du village et des
alentours. Le commerce marchait très bien, aussi son fils Jean reprit
le flambeau à son retour d'Allemagne où il avait été requis pour le
STO. Mais là encore, la guerre fut fatale à ce métier : le rasoir
mécanique avait conquis les jeunes et l'homme devint salarié à l'usine
de Villemur en pratiquant des coupes de cheveux en soirée... Alban, le
frère de François, procédait de même: il était coiffeur après une
journée d'ouvrier passée dans un atelier à Saliens dans le journée. Un
salon pour dames ouvrit, en 1931, rue Haute, tenu par Carmen Petit, la
fille de "Piérès de las engranièras" (un ouvrier qui fabriquait des
balais). Elle réussit très bien et l'affaire fut reprise par Yvette
Navech devenue madame Muratore.
Métiers liés à l'agriculture Le
forgeron maréchal ferrant avait son local à l'emplacement actuel du
Crédit Agricole. "Pachicou", le grand-père de Jacques Fournier, était
un homme grand, tout en muscles. Son atelier enfumé était vaste. La
cheminée de la forge avec son énorme soufflet se situait en face du
portail. L'enclume se trouvait à proximité. Aux murs, étaient accrochés
des fers à bœufs et à chevaux, de toutes tailles, et se trouvaient là
aussi des sarclettes et des "foussous", des houes ainsi que des clous
carrés à tête ronde et d'autres plus longs à tête plate sur deux faces,
autant d'objets fabriqués en hiver. L'endroit était le lieu de
rendez-vous des anciens du village. Les agriculteurs y venaient après
"cinq heures du soleil" pour apporter leurs "fèrres", leurs ferrailles,
à aiguiser. De longues discussions s'engageaient au sujet de tout et de
rien au rythme du bruit du marteau sur l'enclume ou de celui du
soufflet qui avivait le feu où rougissaient ailettes et barreaux de
charrues. Les clients les plus éloignés repartaient avec leurs outils
sur l'épaule prêts à entailler en douceur les terres. Les autres
revenaient le lendemain matin tôt, le forgeron ayant martelé avant la
levée du jour pour que chacun soit servi. Ces rencontres étaient
l'occasion de prévoir le moment pour le ferrage du bétail. Pour
les chevaux, cette manœuvre ne pose aucun problème particulier; En
revanche, pour les vaches et les bœufs, il fallait les immobiliser en
utilisant un "trabalh", situé sur la place de la Croix, près de la
Vierge. Cette structure présentait une charpente en bois et en fer
munie d'un joug à un bout qui servait à immobiliser l'animal solidement
attaché. Avec des sangles passées sous son ventre, à l'aide d'un
tourniquet mû avec vigueur par le forgeron et son propriétaire, la bête
était soulevée jusqu'à ce que ses pattes ne touchent plus terre. Bien
sûr, le bovin s'agitait, mais il se calmait réalisant qu'il était
impuissant. Alors, le maréchal-ferrant posait un fer chaud sur chaque
sabot, muni d'une râpe, d'un marteau, de clous et de tenailles. Une
forte odeur de corne brûlée se répandait alentour. Le
charron habitait dans le village, à l'angle des rues Haute et
Jean-Jaurès aujourd'hui. La confection d'une roue de charrette relève
presque de l'art. Rien que le percement du moyeu, fait en bois d'ormeau
bien noueux pour éviter l'éclatement, demande de nombreuses journées de
travail. Il travaillait en collaboration avec le forgeron car il lui
apportait les dites roues en bois à cercler. Ce travail très
spectaculaire nécessitait la présence de plusieurs personnes et se
déroulait, également, sur la place de la Croix. On préparait un bûcher
en disposant d'abord en rond sur le sol des fagots bien secs, puis du
bois plus gros. Lorsque le tas brûlait très fort, on ajoutait du
charbon mouillé et on plaçait enfin le cercle en fer pour le faire
dilater sous l'effet de la chaleur. Simultanément, on remplissait des
comportes et des seaux d'eau. Quand le cercle porté au rouge paraissait
convenir, il était saisi avec de longues pinces et posé autour de la
roue en bois aussitôt arrosée pour être refroidie et éviter qu'elle ne
brûle. En même temps, deux hommes frappaient de toutes leurs forces
pour que le cerclage soit parfaitement réussi. Son gendre, Roger
Oulivet, surnommé "Lo Pastor",(le berger, en occitan), exerça peu ce
métier, se consacrant à l'agriculture. Pourtant, de temps en temps, il
fabriquait une remorque montée sur des essieux de voiture ou de camion.
L'atelier du bourrelier était situé à l'angle des rues des Anneaux
et Saint Théodard. La famille Taste y exerçait ce travail de père en
fils. Il consistait à confectionner colliers et autres sellettes ainsi
que des harnachements pour chevaux de trait ou de locomotion. Mais les
réparations prenaient une place importante en application du principe :
"Petaçar fa durar" (Rapiécer fait durer). Au fil des ans, d'autres
services vinrent étoffer la gamme : garnitures de sommiers à ressorts,
confections de matelas, etc. Après 1930, vint la réparation ou la
fabrication des toiles de moissonneuses-lieuses car celles-ci s'usaient
rapidement. "Lo joataire" passait de ferme en ferme pour fabriquer
les jougs (lo jo ou la joata en occitan). Cet agriculteur qui demeurait
sur les coteaux de Villebrumier n'était ni grand ni costaud. Il
arrivait à bicyclette, ses outils en bandoulière : une hache, une plane
et des herminettes. Quelques jours avant, on avait retiré de l'eau un
tronc d'ormeau qui trempait depuis plusieurs mois pour garder le bois
tendre et éviter qu'il ne se fende en séchant. L'homme attaquait son
travail à la hache et l'affinait avec les autres outils. Le joug était
ajusté à la tête de chaque jeune bœuf pour ne pas le blesser durant
l'effort. La précision des coups et la vitesse d'exécution tenait de la
magie ! Chacune de ces pièces, plus ou moins longue, était adaptée soit
à la semence des fèves, des pommes de terre ou du maïs, soit encore au
travail de la vigne. Le tonnelier Antonin Bouzigues dit
"Rasquil"occupait une maison rue des Anneaux où se trouvaient son
atelier et son habitation. Célibataire, il vivait avec sa mère. La
pièce où il travaillait était étroite mais profonde, si bien que la
porte était toujours ouverte pour laisser entrer le jour. On pouvait
donc le voir confectionner barriques et comportes. Pour fabriquer un
tonneau, il utilisait des planches soit de chêne soit de châtaignier.
Il préparait d'abord les deux fonds bien ronds, amincis sur les bords.
A l'aide d'une varlope, sur chaque latte, il taillait les deux bords en
léger biseau, moins largement aux deux bouts qu'au milieu. Il creusait
aussi une saignée sur une face. L'assemblage de ce qui était devenu des
douelles pouvait commencer. Une sorte de gabarit, formé de deux
cercles, l'un grand, l'autre petit, était posé à l'intérieur. Antonin
plaçait délicatement chaque douelle en prenant soin que chaque
extrémité soit bien engagée dans la saignée. Lorsque la dernière était
en place, il remontait les cercles et enlevait le gabarit et, tout
doucement, retournait l'ensemble. Il consolidait son travail à coups de
marteau; Il restait à faire plier les douelles pour poser l'autre fond.
Pour y parvenir, il allumait des copeaux dans un petit brasero qu'il
introduisait à l'intérieur du tonneau. Le moment venu, il utilisait un
énorme collier qu'il serrait à l'aide d'une clé jusqu'à faire jointer
les lattes. Puis, il enlevait le brasero et desserrait le collier pour
pouvoir engager le deuxième fond. Il ne restait plus qu'à placer les
cerceaux définitifs en tapant vigoureusement avec un marteau sur un
outil spécifique, genre ciseau à fer. Le métier de cardeur ou de
fileur était exercé, avant 1900, par les aïeuls des familles Nory,
Vigouroux ou même Abeilhou, d'où les surnoms de "Carda", "Cardaire" ou
"Filaire". En ce temps-là, les paysans cultivaient du lin à fibres. Le
grain était vendu et la paille était mise à rouir, c'est-à-dire qu'elle
était plongée dans un vivier pendant quelques semaines. Le cardeur
écrasait alors les pieds puis en séparait les fibres de la partie
ligneuse en les promenant sur un genre de peigne aux dents en acier
monté sur un banc où s'asseyait l'opérateur. Ces fibres étaient ensuite
séchées, filées et enfin tissées pour fabriquer tout le linge de maison
: draps, torchons, chemises... L'étoffe blanchissait au fil des lavages
à base de cendres de bois.
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