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Souvenirs d'un séjour
à Villebrumier


Tout de suite après la Guerre de 39/45, une formation féminine "L'Union des Femmes Françaises", animée localement par Jeannette Delpech (dont la résidence rue L. Gambetta porte son nom), avait organisé la venue d'enfants de la région de Rouen qui avaient particulièrement souffert du conflit. Ainsi, plusieurs familles de la commune (Abeilhou, Jamme, Lebon, Pendaries…) avaient accueilli des enfants durant plusieurs semaines. Cet été, l'un d'entre-eux, Roger Hécart, qui habite toujours la banlieue de la capitale normande, a fait halte à Villebrumier. Soixante ans après, Il y a retrouvé certains lieux et a rencontré Aurore. Il a rassemblé ses souvenirs qu'il livre aux lecteurs de Entre Nous.


Avec Maryse, ma sœur, il nous est impossible de situer la date exacte de notre arrivée à Villebrumier :1945 ou 1946 ? Toujours est-il qu'il s'agissait de notre première grande séparation d'avec nos parents après les durs moments de la guerre. C'était aussi notre premier grand voyage en train, quelque chose d'important : je me souviens encore de certains paysages, le matin de bonne heure, en fin de parcours…
    Je me rappelle du premier soir chez monsieur et madame Lebon, à "La Pension de Famille" : sur la table placée dans l'angle de la salle à manger, il y avait un poisson assez gros pêché dans le Tarn. La fenêtre était ouverte sur la cour… Ma sœur Maryse s'ennuie. Nous discutons.
Et elle pense qu'en suivant les rails du train, il serait possible de revenir chez nous ! J'ai dû lui expliquer que c'était trop loin et donc impossible de rentrer à la maison…Elle se souvient encore de cette anecdote.
    A "La Pension", c'est l'ambiance restaurant. Je suis très heureux qu'il y ait du monde. Plusieurs personnages vivaient là à demeure : Aurore est la seule personne jeune, bien que plus âgée que moi de trois ans, ce qui constituait une différence énorme à l'époque ; la mémé restait souvent assise et épluchait des légumes ; Mimie Lebon est une charmante personne, douce et attentionnée ; Je la revois et j'entends fort bien sa voix ainsi que celle de son mari… J'étais installé dans une chambre en bas où je dormais dans un lit pour deux personnes. J'y faisais ma toilette devant la cheminée à l'aide d'un grand baquet en zinc et d'un pot d'eau chaude que Mimie Lebon descendait par l'escalier. Le fond de l'âtre était maculé de résidus noirs qui, éclairés par le conduit d'une lueur blafarde, prenait des reliefs de femmes étranges qui m'impressionnaient ! Dans une pièce, sont aussi stockées, entre autres choses, des galettes faites maison avec des prunes séchées ; il y faisait si sombre que je n'aimais pas beaucoup y aller !
    Dans la cuisine, le feu brûle dans une cuisinière. Il faut y introduire les morceaux de bois au fur et à mesure de leur combustion. Des soirs, après le repas, des chanteurs mettaient une gaie ambiance. Un certain Ramondou entonnait un air de soldat dont je ma souviens du refrain repris en chœur qui se terminait ainsi : "Fil de fer, Fil de fer barbelé…". Il m'est arrivé de chanter aussi : je montais sur les marches de la maison d'en face (l'endroit a été modifié) pour interpréter des chansons dont "le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles…". Un exploit incroyable à cet âge, quand j'y repense. Dans l'assistance était souvent présent un gros monsieur surnommé "La Bonbonne", rouge de figure, suant à grosses gouttes, ventru, chemise blanche largement ouverte sur sa rondeur, béret basque sur la tête.
Madame Lebon m'achète des espadrilles que des Espagnols fabriquent dans un garage du village (face à la Place de la Croix, ndlr). A mon âge, je devais les abîmer rapidement, puisque j'en ai essayé deux paires, peut-être trois pendant mon séjour.
    François, le métayer, au timbre de voix particulier, grave et chevrotant, me confie la garde de ses vaches sur les pentes du coteau, en bordure du Tarn, au-delà du cimetière. Elles portent le "tabot", une pièce de bois attachée au cou et qui traîne sur le sol entre les pattes de devant pour les gêner, les empêchant de galoper. Mais je me souviens qu'en levant la tête, elles gambadaient quand même ! J'ai avec moi, pour m'aider, une chienne nommée Bergère, un brave animal sans doute mais aussi piètre berger que moi ! Une scène me revient à l'esprit : "Bergère, tè, tè !" et pour rappeler les vaches : "Waïs, waïs…". La chienne affole le troupeau qui fonce dans une vigne, causant quelques dégâts. François avait rouspété. Mais je crois qu'il me donnait un peu d'argent pour le service rendu.
    Un jour, un couple avec un garçon d'un âge voisin du mien prit pension. Que de bons moments passés avec ce petit copain dont j'ai oublié le prénom. Il était finaud avec des yeux bruns. Nous avons découvert un nid de poule sans doute oublié plein d'œufs. Nous avons bien rigolé en les jetant contre le mur de la métairie, en haut où se trouvent les arcades. Une omelette d'œufs pourris, quelle odeur ! Nous nous sommes faits rappeler à l'ordre par le maître des lieux. Pauvre brave François ! Sur le coteau, après le cimetière, il y avait de grands roseaux (peut-être y sont-ils encore ?). Avec le petit parisien, nous y avons construit une cabane et nous nous déguisions en Indiens avec arcs, flèches et plumes sur la tête.
    Puis la famille est repartie. Je me retrouvais parmi des gens âgés, hormis Aurore. Je languissais. Je ne voyais pas ma sœur tous les jours. Je me souviens de mes pleurs… Pour la fête du village, avec quelques copains, en bas dans la cour, nous formions un orchestre avec des moyens de fortune : mirlitons en carton avec feuilles de cigarette et grosse caisse (mon invention !) à partir d'un entonnoir en tôle retourné vers le sol et d'une grosse pomme de terre pour taper dessus : ça faisait "boum, boum" !  
    J'ai fait la connaissance d'un garçon alsacien plus âgé que moi nommé Faka. Il fabriquait des petits jouets en bois, y dessinait des fleurs et y ajoutait de la dorure. J'étais très intéressé et même ébahi par ses créations, par exemple un canon construit avec une bobine de fil à coudre en bois, mû par un bracelet élastique torsadé à l’aide d’une bûchette, les boulets étant figurés par des graines qui tombaient d'un genre de palmier se trouvant dans la cour de la maison où il habitait située, je crois, près de la place. Il arrivait qu'il soit invité à "La Pension" où nous partagions ma chambre en bas.
    De temps en temps, nous nous rendions, avec ma sœur Maryse, à une ferme du coteau, à "Goudous", juchés sur une charrette tractée par deux vaches. Un autre garçon s'y trouvait en vacances ainsi qu'une jeune fille appelée Mimie. Dans cet environnement, nous faisions des découvertes. Un jour, on devait noyer un chaton ! Quelqu'un l'avait ficelé et il a fallu le jeter depuis le pont dans le Tarn ! J'ai encore l'image très nette de la pauvre bête en train de se débattre et glisser avec le courant. Horrible ! Qui avait ordonné ce boulot ?
    Je mangeais des prunes qui cuisaient au soleil, ce qui leur donnait un goût de confiture. Je faisais des cures de muscat : on cueillait des grappes énormes (je n'avais jamais vu ça) dans des vignes en bordure du Tarn. Je n'avais plus faim au moment du repas… Pour les vendanges, (donc notre séjour fut assez long), en bas, dans la cour, j'ai écrasé le raisin avec mes pieds dans une grande cuve avec des guêpes tout autour.
    Voilà, j'en ai fini avec mes bribes de souvenirs. Finalement, ce sont de banales impressions ressenties par un gamin de 10 ou 11 ans, soixante ans après. Mais ce que je raconte est encore très vif dans ma mémoire, alors que ma sœur ne se rappelle de presque rien, elle était trop jeune sans doute. J'ai été très heureux de revoir Aurore. J'aurais bien voulu aussi retrouver la famille Lebon  pour la remercier, mais le temps a passé. A cette époque d'après-guerre, tous ces gens ont fait preuve de générosité envers ces enfants du "Nord" habitant des régions ayant souffert. Je ne l'oublie pas.
Roger Hécart (octobre 2005) 

 
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