Travaux
des champs
Raoul Astoul est
né le 14 juin 1921 au lieu-dit "Flouquet" qui jouxte le Tarn,
à Nohic. Ces dernières années, il a ressenti le
besoin de rassembler ses souvenirs et de rédiger, "pour ses
enfants et petits-enfants" précise-t-il, quelques 150 pages, car
il estime que "l'avenir se forge dans le présent mais aussi dans
le passé". Ce document, qu'il a intitulé
"Mémoires", constitue évidemment une source inestimable
pour l'histoire locale.
Les saisonniers
Les travaux des champs exigeaient une importante
main d'œuvre. Tout était fait à la main. Le
maître valet habitait sur place dans une maison qui sera
détruite par l'inondation du 3 mars 1930. Son épouse
était employée pour les principales récoltes :
foin, moisson, battage, maïs. Pour compléter l'effectif,
mon grand-père faisait appel aux " estivandiérs ", en
fait des ouvriers saisonniers pour l'été. Ces personnes
étaient soit des agriculteurs qui ne possédaient que
quelques hectares à cultiver, soit des artisans (il en existait
une vingtaine vers 1900: forgeron tailleur, sabotier, tisserand,
cardeur, courtier en vin, paille, fourrage ou bétail, exploitant
de carrière de sable et gravier…) qui avaient du temps
libre à la belle saison et qui possédaient, eux aussi, un
peu de terre. Ces gens aidaient au besoin les propriétaires qui
les rémunéraient souvent en nature par le biais de sacs
de blé ou, en retour, mettaient à leur disposition
une paire de bœufs et la charrue pour les labours ou la
récolte des pommes de terre.
Le foin était coupé à la faux
par mon grand-père, mon oncle Antoine, le maître valet et
quatre "estivandiérs". Il était fané et
râtelé par leurs épouses puis chargé et
déchargé par les hommes.
Anecdote
Parmi les "estivandièrs", figurait
"Béouno", un bonhomme pas très grand, brun, peu bavard et
qui ne s'exprimait qu'en patois. Il habitait lieu-dit "Noble", sur le
coteau de Villebrumier. Il avait l'habitude de cueillir des pieds de
moutarde noire le long des fossés et des chemins creux. Il les
égrenait au fléau puis les ventilait soigneusement. Un
jour, ne trouvant pas à vendre sa récolte sur place, il
décida de se rendre à la foire du 13 octobre à
Montauban. A cinq heures du matin, il chargea son sac sur
l'épaule et partit pieds nus, les souliers pendus autour
du cou pour ne pas les user ! Le père Couderc, un
commerçant bien connu, lui acheta les cinquante six kilos de sa
cargaison 5 francs-or. Après la vente, il fit un tour à
la foire aux animaux puis en passant Faubourg Lacapelle, il acheta deux
petits pains à deux sous pièce et reprit la route de
Villebrumier, sans oublier de quitter ses souliers dès la sortie
de la ville. Tout en marchant, il croqua ses pains et quelques poires
ramassées au passage.
Quand il racontait cette anecdote, "Béouno" exprimait quelques remords pour avoir dérobé des fruits…
Les moissons et le battage
Pour la moisson, tout le monde était sur le
pont ! La journée commençait au lever du jour. Une pause
survenait vers sept heures et demie pour un casse-croûte
substantiel. Le vin était fourni par mon grand-père A
midi, on pique-niquait à l'ombre de quelque arbre (il y en avait
partout dans la campagne). Suivait une sieste plus ou moins longue
suivant que le temps était au beau ou à l'orage Le soleil
se couchant derrière le clocher d'Orgueil donnait le signal de
l'arrêt des opérations et le retour, à pied,
à la maison. Durant la journée, on s'organisait par
couple : l'homme fauchait les épis qui étaient rabattus
par un petit râteau monté sur la faux ; la femme les
rassemblait pour confectionner la javelle. Il fallait en lier
deux, à la main, à l'aide de la paille de seigle, pour
obtenir une gerbe. C'était une tâche très
pénible car on se tenait constamment courbé. Le meilleur
faucheur commençait le premier. Les autres suivaient à
intervalle régulier. Mettre les gerbes en tas (appelés "
piles ", de l'occitan " apilar ") répondait à des
règles précises : les quatre premières
étaient disposées en croix, les épis placés
à l'intérieur se chevauchant. Les autres étaient
empilées par dessus dans le même ordre. La
dernière, les grains dirigés vers le Sud, recouvrait bien
celles du dessous.
Ce travail très pénible
s'accomplissait joyeusement. S'il faisait très chaud, des hommes
parfois tronquaient leur pantalon pour une jupe légère
qui permettait une meilleure aération du bas du corps. De temps
en temps, un lièvre ou un lapin s'enfuyait, des perdreaux
décollaient dans un grand bruit d'ailes, des tourterelles
roucoulaient dans un taillis, des buses tournoyaient dans le ciel
à l'affût de quelques proies.
La moisson terminée, après avoir
rentré la seconde coupe de luzerne, il fallait préparer
le battage. Le premier travail consistait à racler et à
damer une aire plate de cent mètres-carrés appelée
"lo sol". On amenait une charretée de gerbes que l'on
déliait pour les déposer sur l'aire
aménagée, épis contre épis, en plusieurs
bandes. Ensuite, passait le gros rouleau de pierre traîné
par des bœufs. A chaque tour, on retournait la paille et on la
secouait pour en extraire le grain. Muni d'une casserole
attachée au bout d'un long manche, un grand-père,
très attentif, était chargé de
récupérer les éventuelles bouses que quelque
animal risquait de lâcher.
Le battage s'effectuait aussi au fléau. Cet
outil se composait de deux parties : un bâton gros comme un
manche de fourche, long de deux mètres, était
relié par une lanière de cuir à un autre plus fin
et un peu plus court. On saisissait le premier à deux mains pour
faire tournoyer le second qui s'abattait et fouettait violemment les
épis étalés sur le sol en couches assez
épaisses. Les hommes qui manipulaient ces engins se faisaient
face deux par deux. Le mouvement paraissait réglé par un
métronome mais si, par hasard, deux bâtons se heurtaient
en l'air, ils risquaient de retomber sur les oreilles d'un homme en
déclenchant un grand concert de jurons! Les femmes s'occupaient
de la récupération du grain et de la paille.
De temps en temps, un brève pause permettait
de boire " à galet " un bon coup de vin pour se
désaltérer dans la bonne humeur.
D'une façon ou d'une autre, quand on
considérait que l'égrainage était fini, on
transportait la paille, fourchée après fourchée,
jusqu'au pailler. Cette meule mesurait de quinze à vingt
mètres de long et cinq mètres de large. A partir de
quatre mètres de haut, il fallait le rétrécir pour
le terminer en crête. Le grain était soigneusement
rassemblé et transporté sous le hangar dans une brouette
ou mis en sacs selon les coutumes de la maison. On le ressortirait un
jour de vent pour éliminer "les àbets", les balles ou
enveloppes, sinon on utilisait du tarare (lo trico-traca). Enfin, les
céréales étaient mises en sac et montées au
grenier en attendant le bon moment pour les vendre.
Mon grand-père Adrien faisait le pain pour
toute la semaine dans le "fournial" où se trouvaient le four
à bois, la maie servant à pétrir la pâte,
les "palotes " pour enfourner et extraire les miches de sept livres.
Quand elles étaient bien levées et rousses à
point, quelle joie, après avoir fait le signe de la croix, de
les entamer et de découvrir la mie bien blanche parsemée
de milliers de petits trous ! Ce pain ramené à Flouquet,
bien que consommé huit jours après, gardait la même
saveur.
Plus communément, on pratiquait
l'échange blé-pain. Le boulanger fournissait un kilo de
pain contre un kilo de blé. Avec cent kilos de blé, on
obtient quatre-vingts kilos de farine, le restant produisant du son fin
et de la repasse que le meunier récupérait pour se payer
de son travail. Les moulins étaient nombreux alentour : sur le
Tarn, à Villemur, aux Dérocades et à Saliens ; sur
le Tescou à Canguise et à Saint Nauphary. Sur les
coteaux, existaient des moulins à vent, comme à
Mondurausse.
D'après "Mémoires" de
Raoul Astoul
|