Le côté singulier de la destruction
du château de Reyniès, en 1622,
sur fond de guerres de religions
Le numéro 52 de
Entre Nous, paru en décembre 2001, comporte un historique du
Château de Reyniès. Voici des précisions relatives
à l'un des moments forts de l'histoire de cette bâtisse
qui appartient à la même famille depuis douze
générations.
Le contexte historique
Afin de se replacer dans l'époque, il convient d'avoir en
mémoire quelques faits et dates de l'Histoire de France, appris
sur les bancs de l'école:
- Le Massacre de la Saint-Barthélemy du 24
août 1572, dont la responsabilité est,
généralement, attribuée à Catherine de
Médicis (massacre visant à maintenir ses fils sur le
trône de France) ;
- L'Edit de Nantes du 15 avril 1598, par lequel Henry
IV accorde (à nouveau) la liberté religieuse ;
- La Révocation de ce même Edit de Nantes, le 18 octobre 1685, par Louis XIV.
S'en ajoutent d'autres qui sont moins connus :
- De la date de "La conjuration d'Amboise", (son
échec fit que 1200 calvinistes furent pendus puis
décapités) à la signature du célèbre
" Edit de Nantes ", c'est à dire de 1560 à 1598, les
historiens ne décomptent pas moins de 8 guerres de religions
(certains parlent de guerres civiles) ;
- La première guerre (1562-1563) est
marquée par le " Massacre de Wassy ".au cours duquel les archers
du duc de Guise font 60 morts et 200 blessés parmi les 300
protestants qui écoutent un prêche dans une grange…
Ce conflit se termine avec une paix ou "Edit " d'Amboise, qui autorise
le culte protestant et décrète une " amnistie
générale".
Enfin, un épisode, d'importance royale, est très connu localement:
- L'échec de Louis XIII lors du siège
de Montauban (du 21 août au 18 novembre 1621), conduit par
Luynes, commandant général des armées royales. .
La famille de Reynies
Tous ces événements eurent, forcément, un
retentissement régional, donc une influence sur la petite
histoire locale émaillée de tueries et massacres ainsi
que d'assassinats.
Parmi les écrits de l'abbé F. Galabert datant de 1898,
édités par la Société Archéologique
de Tarn-et-Garonne dans le tome XXVI (pages 38, 39 et 40), sous le
titre "Principaux capitaines du Montalbanais durant les troubles du
XVIème siècle" se trouve un chapitre sur "
Reyniès" mentionnant, entre autre que: " Pierre de Latour, dit
le baron de Reyniès, est ce capitaine que Antoine de Vezins, son
ennemi, sauva du massacre de la Saint-Barthélemi,… ".
(Selon les différentes versions des historiens, le catholique
aurait sauvé le protestant du massacre, soit en raison d'une
certaine estime réciproque, soit pour avoir le plaisir de le
provoquer en duel).
Antoine de Vezins est Chevalier de l'Ordre du Roi, gouverneur du
Rouergue, du Querci, de l'Albigeois et des Cévennes. Capitaine
de cent hommes d'armes, il est appelé "le lion catholique" par
Coligny De son côté, Pierre de Latour de Reyniès,
seigneur de Massoulès en Agenais fait partie des gentilshommes
huguenots ; il épousa, vers 1570, Anne de Borrassier qui lui
apportait en dot une partie de la seigneurie de Saint-Nauphary. Ce
dernier, communément appelé Reyniès, aurait fait
changer d'avis les Montalbanais (alors qu'ils étaient
prêts à se soumettre) en les faisant adhérer
à la confédération entre les villes calvinistes.
Lors de la quatrième guerre, il participait si ardemment aux
combats qu'il était " des premiers aux coups ayant deux nappes
pour étrivières à cause de la goutte qui le
travailloit fort, et se signala l'épée à la
main, bien qu'avancé dans l'age ".
Il est dit, aussi, que Reyniès se saisit de Villemur et y fit
pendre plusieurs catholiques qu'il y avait surpris. Il dut le quitter
en 1592, quand Joyeuse mit le siège devant cette place.
Du siege de Montauban a l'attaque du chateau de Reynies
Ce Reyniès eut un fils prénommé Pierre, lui aussi,
qui fut tout aussi féroce et expéditif que son
père. Il a " épousé (en seconde noce) en 1611
Marguerite de Castelpers ; celle-ci surprise en adultère par son
mari, le 9 juillet 1616, avec B de Rabastens, vicomte de Paulin, fut
tuée en même temps que ce dernier et avec le vicomte
de Panat, son frère "…Il fut tout aussi combatif et
protestant convaincu, il a défendu Montauban avec acharnement :
" Lors de siège de Montauban il reçut du comte d'Orval,
fils de Sully (…) commission pour former trois compagnies de
chevau-légers ; il devint lieutenant-général
du régiment (…) tenu le bastion de la porte du pont
contre le duc de Mayenne (,…) le bastion du Moustier,(…)
le fort de Corbarieu… " " 'Les Montalbanais fiers d'avoir vaincu
les troupes royales et de les avoir contraintes à lever le
siège, se répandirent en dehors de la ville, et prirent
d'abord Labastide ; ensuite… "
Ensuite, ils se dirigèrent vers le château de
Reyniès ; mais…Nous sommes en 1622, et les faits
concernant la prise de ce château sont relatés de
manières divergentes selon les sources utilisées…
Avant d'en faire le détail, il est utile de signaler que
Reyniès, autrement dit Pierre de Latour, est mort
assassiné en 1623 près de Sos, canton de Mezin, par
Pierre de Gourdièges et Antoine Saint-Germain de
Gourdièges, laissant deux filles :l'une, issue du second mariage
(écourté pour cause d'adultère) épousa, en
1623, Julien de Gironde, sieur de Sigognac, son cousin et huguenot
comme elle ; l'autre, Jeanne de Latour, issue du premier mariage (avec
Julie de Pons de Lacaze en 1603), nous intéresse plus
particulièrement parce qu'elle lui succéda dans la
seigneurie !
Revenons donc en 1622, à la période où les
Montalbanais marchent sur Reyniès (le château) à la
demande de Reyniès (le châtelain) pour comparer la
narration de l'abbé Galabert à celle de Jeanne de Latour,
fille de Pierre de Latour.
Deux versions differentes
L'abbé Galabert est succinct dans sa version. Il écrit
que : " le 6 août 1622, ils (les Montalbanais conduits par
Reyniès) assiégèrent son château, dont le
duc de Mayenne s'était emparé durant le siège (de
Montauban). Peu de défenseurs échappèrent à
la fureur du soldat (Reyniès le châtelain). Bellegarde,
cadet de Castelsagrat, fut presque le seul prisonnier ; le
château ne fut pas pillé en considération de
Reyniès, à qui il fut rendu ; mais le duc de Vendome le
fit sauter peu après ".
L'héritière du château, ou plus exactement, de ce
qu'il en reste, Jeanne de Latour, Dame de Reyniès, veuve de Jean
de Seguin du Bros, fait établir, à Corbarieu le 26 juin
1679, un Procès-verbal du siège et destruction du
Château de Reyniès et ses Dépendances, par le
notaire Me Jean Grelleau, en présence de Jean Taillade " advocat
". L'intégralité de ce Procès-verbal est parue, au
2ème trimestre de l'année 1905, dans l'édition de
la Société Archéologique de Tarn et Garonne, tome
XXXIII, pages 182, 183 et 184. Ce document est communiqué par
Mathieu de Seguin de Reyniès, curé de Fabas (par
Grisolles) qui est membre (résident hors de Montauban) de cette
société.
On y apprend que " en l'année 1621, pendant le siège de
Montauban, ou après iceluy le château de Reyniès
fut entièrement démoli par le canon, que feu Messire
Pierre de Latour fit battre… ".'Depuis Jeanne de Latour et
Messire Jean de Seguin du Bros seigneur de Reyniès, son mari,
ont fait " rebastir(*1) à neuf ledit château, à
prendre depuis le fondement, ensemble tous les graniers, chez,
escueries, terrasses, granges, maisteries et autres édifices en
dépendant, les murailles qui sont autour dudit château,
les parois qui ferment les jardins, vergers, et fait planter le bois de
charme joignant le jardin et les arbres qui sont dans le dit
jardin… ".
Afin du donner du poids à ses affirmations, Jeanne de Latour
produit une dizaine de témoins ' "Tous d'aage compétant
pour tesmoinier de la vérité, le plus jeune ayant au
moins l'aage de soixante-douze ans(…) moiennant serement
(moyennant serment) par chacun d'eux prêté, savoir lesdits
Marsal, Londio, Blanc, Delmas, dit Guilhamot, et Malffre, leur mains
mises sur les Saints Evangiles, Messire seigneur, et lesdits Sirac, dit
Bretou, Rouquete et lesdits trois Filhes, (Filhes Antoine, Jean et
Pierre dit Valèze) leurs mains levées à Dieu,
suivant la forme de leur Religion… " (72 ans signifie en fait 15
ans à l'époque des faits ! ndlr)
Il en ressort d'après ces témoins habitants de
Reyniès et Corbarieu que : " en l'année 1621 ledit
seigneur Pierre de Latour, père de ladite dame, s'estant
retiré dans la ville de Montauban, il laissa dans son
château de Reyniès le sieur de Loulmède avec une
garnison, pour le lui garder et ses maitairies en
dépendant… ". (Tout comme son seigneur, Reyniès
est donc protestant ! ndlr)
" …En 1622 dans le mois de juillet, ledit sieur de
Loulmède, gouverneur dudit Château, (…) a
refusé l'entrée audit seigneur de Reyniès…
". (On n'est jamais si bien trahi que par les siens ! ndlr). " …
ledit seigneur de Reyniès fut dudit Montauban audit
Reyniès avec des troupes et quatre pièces de canon pour
assiéger et faire battre ledit château, lequel il prit,
après en avoir fait démolir une partie "…
(Loulmède et Payas, son lieutenant, sont tués et 20 ou 22
soldats sont pendus),. " qu'ensuite ledit seigneur de Reyniès,
se retirant audit Montauban laissa dans ce qui restait sur pied dudit
château une garnison à sa dévotion "….
Reyniès n'ayant plus de château en état de se
défendre, arrive l'inévitable : " …ledit Vendosme,
commandant alors les troupes du roi, (…) avec le sieur de La
Molière, gouverneur de Villemur,(…) furent dix ou douze
fois après audit Reyniès pour réassiéger
ledit château, lequel ayant été abandonné de
la garnison qui y estoit dedans,..ledit seigneur duc de Vendosme le fit
entièrement démolir(*2) et raser… ou
brûler toutes les mesteries tant de deça que delà
la rivière du Tarn ". Et Reyniès devint catholique.
Jean-Louis Garcia
Monsieur de Reyniès, actuel
propriétaire du château, sur la base de ses archives
personnelles, fournit ces compléments d'informations ci
après annexées :
(*1) Le château a été reconstruit, en 1650,
à l'identique, à 3 tours, ce qui en fait son
originalité, sur les fondations et caves du 1er château du
XIIIème siècle ; contrairement à la
transmission orale, il n'a donc jamais eu 4 tours.
(*2) Le château n'a pas été entièrement
détruit car une tour, celle de l'ouest vraisemblablement, a
subsisté.
(*3) Le château a été rehaussé d'un 2ème étage en 1786.
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