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De septembre 1914 à Novembre 1919

Un camp de concentration
était ouvert à Labastide Saint Pierre  

A la recherche du "Camp de concentration"
    "Un camp de concentration ? A Labastide Saint Pierre ? Non, vous devez vous tromper ! En Tarn et Garonne, il y a bien eu un camp, mais à Septfonds !"
    Faute de réponse satisfaisant notre curiosité, il a bien fallu se résigner à échafauder des hypothèses et à se lancer sur toutes les pistes possibles :
- "camp de concentration" fait penser à "Résistance", d'où une visite au Musée de la Résistance à Montauban afin d'élucider le mystère. Cette démarche n'est pas couronnée du succès escompté : le seul "  camp " connu de la région reste celui de Septfonds.
-Labastide Saint Pierre… Si cette commune est concernée par ledit " camp de concentration ", ses archives devraient contenir des informations portant soit sur son implantation via le cadastre, soit sur son fonctionnement comptable ou son administration via les délibérations du Conseil municipal . Rien de probant ne sort des investigations menées.
- La Préfecture ? Sollicitée à son tour, elle ne peut fournir d'information., mais conseille de poser la question au service des Anciens Combattants. Rendez-vous est donc pris auprès de cet organisme. Ce ne sont pas les rouages de cette administration qui vont déclencher l'étincelle salvatrice, mais la présence d'une jeune secrétaire, ex étudiante de faculté, qui, ayant surpris les bribes de l'exposé du problème, fait état d'un lien possible avec les travaux de thèse d'un autre étudiant portant sur "les camps de concentration"… de la Guerre 14/18 !
    La chance venait-elle de tourner en notre faveur ? L'hypothèse d'un "Camp de concentration" ne paraissait pas particulièrement crédible tant ce vocable fait immédiatement penser à tout ce qu'une personne correctement informée a en mémoire : les camps de déportation nazis entre 1939 et 1945.
    Faute d'autres pistes à explorer, une nouvelle lecture des délibérations du Conseil municipal de Labastide Saint Pierre sur la période 14/18 s'impose. Hormis l'achat d'un drapeau pour la somme de 110 francs qui, curieusement, vaut quasiment aussi cher que l'acquisition d'une " estrade en l'honneur des fêtes publiques " qui, elle, coûte 111,36 francs, rien de relatif à des faits concernant un " camp de concentration " n'est relevé. La consultation des Anciens du village sur cette même période n'apporte toujours rien de tangible...
    Ultime espoir pour dénouer le problème : consulter les Archives départementales de Montauban. Là, l'hôtesse d'accueil de la salle de lecture, plus habituée aux demandes des amateurs de généalogie, gros consommateurs d'actes d'Etat civil plus ou moins anciens, quelque peu troublée par la demande : " Camp de concentration en 14/18…Labastide Saint pierre… ", préfère appeler du renfort. Bien lui en prit ! De répertoires en catalogues, de registres en nomenclatures, ce renfort apporte la solution miracle qui se résume à de simples références : " 4 M 403, 404, 405 et 407 ".

Rappel historique
    Pour situer cette période, il est bon de rappeler quelques dates et événements marquants relatifs à la Première Guerre mondiale :
- 3 août 1914 : l'Allemagne déclare la guerre à la France et à la Russie ; l'Angleterre entre aussi dans le conflit ; 
- septembre 1914 : victoire de l'armée française sur la Marne ; la terrible " Guerre des tranchées " commence…
- 1915 : les forces en présence sont, d'un côté, l'Allemagne, l'Autriche, la Turquie, la Bulgarie et, de l'autre, la France, la Russie, l'Angleterre, la Serbie, la Belgique, l'Italie ;
- de février à juin 1916 : bataille de Verdun ;
- 1917 : après la Roumanie, les Etats Unis rejoignent la coalition alliée contre l'Allemagne : en Russie, le nouveau gouvernement issu de la Révolution, se retire du combat ; des mutineries, sévèrement réprimées,  éclatent parmi les troupes françaises ;
- 11 novembre 1918 : l'Allemagne vaincue signe l'Armistice ; le bilan est lourd : 10 à 12 millions d'hommes tués, un plus grand nombre encore de blessés, des régions dévastées…
- 1919 : signature du Traité de Versailles. 

Un camp de détention
    L'appellation de ce "Camp de concentration" varie entre "Dépôt d'Internés civils" qui retient prisonnière toute personne susceptible de représenter un danger pour la nation et "Dépôt de triage" qui interne les mêmes individus plus les vagabonds et même les prostituées que l'on examine médicalement.
    Celui de Labastide Saint Pierre se situait dans l'ancien Couvent des Chartreuses, construit à la sortie du bourg vers Bressols, entre la route Montauban-Castres et le Tarn.

L'administration
La direction : Le " Dépôt d'Internés civils " est administré par un directeur et un régisseur. Le premier est chargé de veiller à l'exécution des règlements et de prendre toutes les mesures  internes qu'il juge utile. Pour les cas importants, il en réfère au Préfet. Le second pourvoit aux achats et commandes nécessaires. Il tient à jour le livre de comptabilité, le registre des entrées et sorties et la liste des dépôts des internés. Il assure la distribution des denrées conformément à la réglementation concernant la nourriture. Il joue le rôle de vaguemestre et censure les lettres écrites en français tandis qu'il transmet à la Préfecture celles rédigées en langue étrangère ou celles qui présentent un intérêt au point de vue national. Il s'assure que les Internés n'écrivent pas plus de deux lettres et quatre cartes par mois et que les colis livrés ne présentent pas de danger.
    Il organise les tours de corvée pour l'entretien des locaux et annexes. Il veille à ce qu'aucune personne étrangère à l'Administration ne s'introduise dans le dépôt sans autorisation écrite du Préfet ou du Directeur, cette mesure concernant les personnes qui demandent à voir un proche interné ou celles qui sollicitent l'exécution d'un travail par un détenu.
    Quand un visiteur muni d'une telle autorisation se présente à l'entrée, la sentinelle sonne la cloche ; alors, le régisseur se rend à cet appel et fait accompagner l'intéressé(e) par un gendarme ou à défaut (mais à défaut seulement) par un soldat.
    Le régisseur s'assure que toutes les consignes sont respectées et signale toutes les infractions au directeur.    
Le service d'ordre : Les services d'ordre et de garde sont assurés d'une part par un Maréchal des logis de la Gendarmerie et un gendarme et d'autre part par des soldats commandés par un chef de poste.
    Les gendarmes font, pendant le jour, au moins une ronde toutes les deux heures dans l'enceinte du camp. Ils dispersent les attroupements de plus de dix unités. Ils signalent au régisseur tout agissement de détenu qu'ils leur paraît suspect. Ils s'assurent que les sentinelles soient à leurs postes. Ils font respecter la propreté des lieux. Ils vérifient le contenu des lettres et colis et saisissent au besoin l'alcool ou les armes et objets prohibés pour les remettre au régisseur. Ils accompagnent les visiteurs autorisés à entrer dans le dépôt en interdisant toute conversation suspecte.  
    A l'entrée de la nuit, ils procèdent à un appel. Ils font en sorte que toutes les lumières soient éteintes à neuf heures du soir.
    Les soldats sont chargés du service de garde. A sept heures en été et à huit heures en hiver, ils accompagnent les détenus dans l'enclos réservé à leur promenade. A dix heures, ils les ramènent dans leurs chambres. L'opération se renouvelle l'après-midi. Les jours de pluie, les prisonniers s'abritent dans la chapelle.

Quelques données sur la vie interne
    La consultation du dossier fait ressortir quelques précisions relatives à la vie du camp :
u une estimation fait état d'un " nombre considérable d'Internés civils, six cents environ, de septembre 1914 à décembre 1919 " ; 
- au 10 novembre 1917, on comptabilisait 188 internés ;
- le 8 décembre 1917, on note la réception en gare de Labastide de " 8 rouleaux de ronce " c'est-à-dire de fil de fer barbelé ;
- le 15 avril 1918, est effectué un " triage " concernant 3 Allemands, 5 Russes, 7 Belges et 1 Luxembourgeois, soit 16 individus ;
- le 30 novembre 1917, intervient la nomination d'un Régisseur (Auguste Combes) et d'un Contrôleur (Ellis Gauteron) rémunérés respectivement 125 F  et 50 F par mois.
- curieusement, il existait une monnaie interne sous la forme de billets de 5, 10 et 50 centimes et de 5 francs portant les mentions " Département de Tarn et Garonne ; Camp de Concentration de Labastide Saint Pierre ".

Evacuation sur les Dépôts de triage
    Le 8 août 1918, le Directeur de la Sûreté générale du Ministère de l'Intérieur s'adresse aux Préfets en ces termes par le biais d'une circulaire manuscrite rédigée d'une superbe écriture :
" A la suite d'un accord intervenu entre les départements de la Guerre et de l'Intérieur, la Commission interministérielle d'examen des suspects de nationalité française, alliée ou neutre, évacués de la zone des armées sur les dépôts de triage, examinera dorénavant (leur) situation. (…) Les individus évacués (…) seront dirigés sur l'un des quatre dépôts de triage suivants : Melun-Fleury-en-Bière (Seine-et-Marne), La Ferté-Macé (Orne), Besançon (Doubs) et La Bastide-St Pierre (Tarn-et-Garonne) qui recevra les évacués des départements suivants : Alpes (Basses), Alpes (Hautes), Alpes-Maritimes, Ariège, Aude, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Cantal, Charente, Charente Inférieure, Corrèze, Creuse, Dordogne, Gard, Garonne (Hte), Gers, Gironde, Hérault, Landes, Loire (Hte), Lot, Lot-et-Garonne, Lozère, Puy-de-Dôme, Pyrénées (Basses), Pyrénées (Htes), Pyrénées-Orientales, Tarn, Tarn-et-Garonne, Var, Vaucluse, Vienne (Hte).     
    La Commission procédera à l'examen de leur situation en attendant que j'aie définitivement statué à leur égard :
1°) Tous les étrangers frappés par un arrêté ministériel ou préfectoral d'expulsion et qui ne peuvent par suite des circonstances regagner immédiatement leurs pays d'origine (Belges, Luxembourgeois, Serbes, Roumains, Monténégrains, etc) ;
2°) Les Russes expulsés, sauf ceux qui seront autorisés à se rendre dans un pays neutre et qui auront pu se procurer un passeport ;
3°) Les sujets hellènes expulsés dont le retour dans leur pays ne serait pas autorisé par le Gouvernement Hellénique ;
4°) A titre exceptionnel et essentiellement provisoire, les sujets Scandinaves et Néerlandais expulsés dont le maintien en liberté serait notoirement dangereux pour la sécurité nationale ;
5°) Egalement à titre exceptionnel et provisoire, et en cas de nécessité absolue, les sujets Anglais et les citoyens Américains…
    Il conviendra d'adresser au Directeur du dépôt la notice individuelle des individus évacués (qui) devra mentionner l'état civil dont se réclament les intéressés ainsi que les faits motivant leur éloignement et contenir des renseignements sur leurs agissements qui auraient pu donner lieu à suspicion.
Pour le Ministre de l'Intérieur,
Le Conseiller d'Etat,
directeur de la Sûreté Générale ".

Suppression des dépôts de triage
    Une autre circulaire du Ministre de l'Intérieur datée du 16 juin 1919 stipule : "(…) J'ai décidé la suppression des dépôts de triage qui devront être vidés le 1er juillet prochain. Les individus indésirables ou suspects dont il y aurait lieu à l'avenir d'assurer l'internement devront être évacués directement sur les camps de concentration qui sont provisoirement maintenus".
    A nouveau, par circulaire du 5 février 1920, le même Ministre de l'Intérieur, demande des précisions estimant qu'il "ne doit plus demeurer dans les camps que certains individus considérés comme douteux et se trouvant sous le coup de poursuites judiciaires". En fait, la réponse du Préfet du Tarn-et-Garonne indique : " les deux dépôts de mon département (Labastide Saint Pierre et Moissac) ont été licenciés le 22 novembre1919. A la date du 4 février courant (1920, ndlr), il ne restait plus que deux internés civils qui ont été placés à l'Asile d'aliénés de Montauban ".

Demande d'indemnisation
    Le 24 avril 1920, le mandataire de Madame Pfauwadel, propriétaire de l'ancien Couvent des Chartreuses, adresse au Préfet du département " le détail estimatif des réparations qu'il y a lieu de faire suite à l'occupation de l'établissement par les Internés civils en nombre considérable, six cents environ, depuis le mois de septembre 1914 jusqu'au 31 décembre dernier (…) ". La lettre précise : " Madame la Supérieure Pfauwadel espère beaucoup que vous tiendrez compte que sur cinq années et demie elle n'a reçu une indemnité de 1.800 francs que pour l'année 1919 ; que l'occupation de son immeuble eut lieu sans aucun avertissement et qu'en conséquence vous voudrez bien lui faire accorder une somme de 29.337 francs qui n'est certainement pas exagérée étant donné la cherté actuelle des travaux, matériaux et salaires d'ouvriers.
    Dans le cas contraire, l'Etat devrait se charger de faire toutes les réparations qu'il a occasionnées ".
    Dans sa réponse (le texte est désormais dactylographié, ce qui dénote une avancée technologique), un mois après, le Ministre de l'Intérieur, saisi de cette requête, propose de " faire offre d'une somme de 2.787,32 francs " soit plus de dix fois moins que le devis !! Cependant, il y est précisé : " Dans le cas où cette proposition ne serait pas acceptée, il y aurait lieu de laisser les intéressés se pourvoir devant les tribunaux compétents ".
    Assurément, bien d'autres recherches seraient à mener pour obtenir d'autres précisions sur ce dossier étonnant. 

dossier présenté par
Jean-Louis Garcia et Guy Jamme
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