Souvenirs...
Quelques aspects locaux de la Seconde Guerre Mondiale
Une couturière à la campagne
Lorsque j'étais enfant, ma mère avait un atelier de couture
avec deux ou trois ouvrières ou stagiaires, comme on les appellerait
maintenant. Ces dernières, disposant de quelques heures par jour au gré des
saisons et des travaux des champs, venaient apprendre à coudre et, en même
temps, nous aider lorsque les commandes de vêtements neufs ou à transformer
étaient importantes. Cela se produisait au moment des fêtes : Pâques, début
d'été, fête locale Toussaint, hiver… Quelques mariages venaient aussi compléter
ces commandes, ainsi que les deuils, car le "noir" devenait
impérativement la couleur des vêtements des dames après le décès d'un
proche.
J'aimais
beaucoup l'ambiance de ce petit atelier installé dans notre salle à manger où
se mêlaient les bavardages, les chansons fredonnées et le "clapotis"
de la machine à coudre à pédales, placée près d'une fenêtre. Quelques éclats de
rire venaient ponctuer ce chœur improvisé mais combien sympathique !
Lorsqu'en
fin de semaine je rentrais du collège, je me joignais à ce petit groupe, ce qui
m'a laissé d'ailleurs quelques dispositions pour la couture et le plaisir de
réaliser, transformer et même broder.
Ma mère
avait appris son métier en se rendant chaque jour après l'obtention du
Certificat d'Etudes, chez une "tailleuse et couturière" renommée à
Labastide Saint Pierre. Elle y reçut "un apprentissage complet qui
exigeait une application et un soin parfait", nous disait-elle.
Les
essayages conduisaient d'ailleurs à une réalisation vraiment sur mesure. Je
revois les clientes de ma mère, devant son armoire à glace, tournant et
retournant entre ses mains qui rectifiaient longueur ou largeur, les épingles
entre les lèvres ou piquées dans son tablier et j'entends encore le dicton
qu'elle avançait quelquefois : "Ah ! Il n'y a pas de mode ni de modente,
il faut que mon cul entre !". Quant aux finitions, surfilage,
boutonnières, ourlets… tout se faisait à la main !
Avant de
décider de la réalisation d'un vêtement, les clientes venaient feuilleter les
catalogues et écouter les conseils de ma mère pour le choix des tissus ou les
modifications que l'on pouvait apporter aux modèles. Et puis, on taillait, on
faufilait, on essayait, on rectifiait et, peu à peu, le vêtement prenait forme
entre ces mains habiles et expertes.
Cette belle
époque fut bien attristée et compromise pendant la guerre 39/45. Les
restrictions dans tous les domaines touchant aux tissus et fournitures ainsi
que les moyens financiers bien diminués, transformèrent l'atelier de couture en
un lieu de travail devant rivaliser d'ingéniosité pour habiller d'abord enfants
et adolescents dont les tailles changeaient… Que de transformations ! Et de
plus, les armoires se vidèrent de tout ce qui pouvait se tailler et se coudre :
les draps et couvertures usés etaient teints quelquefois, les pantalons démodés
devenaient des jupes, les robes des dames étaient retaillées pour les
fillettes… Adieu la mode ! A moins que le "marché noir" ne permette,
en échange de produits alimentaires ou à un prix très élevé, d'obtenir quelques
coupons de tissu cachés au fond des magasins, l'occupant s'appropriant tout à
cette époque là ! Pourtant, pendant la Résistance, quelques parachutages
permettaient de récupérer un tissu très fin (le pongé) que l'on utilisait pour
faire des robes très légères. Ma mère m'en fit une, blanche, je me souviens,
pour assister au mariage d'une de mes voisines.
Lorsqu'arriva
mai 45, période délirante où la victoire allait permettre d'arborer de nouveau
le drapeau français, les couturières s'activèrent à fabriquer des drapeaux
tricolores qui pavoisèrent mairies, écoles, maisons…Le blanc était assez facile
à trouver ; le bleu et le rouge s'obtenaient avec de la poudre de teinture que
l'on délayait dans l'eau de trempage. Les chutes de tissu ne devant pas être
perdues, nous fabriquions les petites cocardes tricolores qui ornèrent nos
chevelures le grand jour du 8 mai ! Et puis, peu à peu, tout redevint normal,
ou à peu près…
Ainsi, dans
chaque village, la couturière et son atelier avaient une grande importance car
le " prêt à porter " existait peu. Mais il y avait également des
retoucheuses ou raccommodeuses qui allaient à domicile munies d'une machine
portative dont la manivelle actionnée par la main droite entraînait le
mécanisme. Celles-ci travaillaient souvent en échange de quelques autres
services ou de produits de la ferme.
Actuellement,
les machines à coudre électriques ont remplacé les machines à pédales. Mais des
ateliers de couture s'ouvrent encore dans les villages et de viennent des lieux
de rencontre où les dames apprennent les éléments essentiels de confection, de
broderie et autres travaux manuels. Les " retoucheuses " rendent
aussi de précieux services pour corriger ou adapter les vêtements achetés en
"prêt à porter".
Georgette
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