Eloge de la truffe
Synonyme d'art de vivre, la truffe passionne tous les
gastronomes depuis des milliers d'années. Certains Anciens prétendent avoir
trouvé ce précieux champignon du côté de Goudous. En cette période de fêtes,
tentons d'éveiller nos papilles !
Un parfum de mystère
L'apparition de la truffe a longtemps constitué un mystère,
mystère exacerbé par son caractère souterrain.
Maintenant,
on connaît bien les particularités de la truffe, mais on ne sait pas encore
maîtriser sa production, malgré les progrès réalisés. Elle demande des
conditions écologiques très précises pour apparaître : sols calcaires et
pierreux, donc filtrants, été suffisamment orageux, hiver pas trop rigoureux,
etc. Ce sont les caractéristiques des pays de causses.
La truffe
est un champignon qui a deux particularités : il est souterrain et il est
obligatoirement associé à un végétal, l'arbre truffier, chêne ou noisetier.
Le
mycélium, issu de la germination des spores, se forme au contact des jeunes
radicelles de l'arbre, hôte des mycorhizes. Ces dernières sont de petites
excroissances d'environ 2 mm de long qui ressemblent à des manchons. Présentes
sur les jeunes racines, elles constituent des lieux d'association à bénéfice
réciproque (symbiose) entre l'arbre et la truffe : le premier fournit au
champignon les sucres et les substances de croissance nécessaires, la seconde
favorise l'absorption des sels minéraux par l'arbre.
La
mycorhization est donc une étape obligatoire dans la production des truffes.
C'est pour favoriser et activer cette production que l'on dispose,maintenant,
de jeunes plants dits "mycorhisés".
Un parfum d'éternité
Certains auteurs font remonter jusqu'à l'Egypte des Pharaons,
soit 3500 ans avant Jésus Christ, l'entrée de la truffe dans l'histoire
culinaire. Il est en tous cas certain que Grecs et Romains la tenaient en haute
estime. Porphire l'élevait au rang "d'enfant des dieux". Pline la
qualifiait de "miracle de la nature", tandis que les grands savants
de l'époque se penchaient avec le plus grand sérieux sur sa nature et son
origine, y voyant les effets de la foudre, des pluies d'automne, des sels du
sol… Mais après le déferlement des "barbares" sur la péninsule italienne,
la truffe semble avoir disparu des festins pendant près de 1000 ans.
Il faut
attendre le Moyen Age pour trouver notre truffe noire (Tuber Mélanosporum ou
Mélano) dans l'Histoire de France. Au XIIIème siècle, Philippe le Bel en
découvre les délices lors de l'occupation de la Guyenne, tandis qu'au même
moment le premier pape d 'Avignon, Clément V, appréciait celle que l'on nommera
par la suite "Truffe du Périgord". Aussi, "la princesse
noire" doit sa réputation à ses supposés pouvoirs aphrodisiaques. Ainsi,
la duchesse Du Barry faisait parvenir des truffes à son mari afin "que le
fruit délectable ne laisse pas sans ardeur la flamme de son tempérament".
La truffe s'installa durablement à la table des rois et des princes. L'histoire
est ainsi émaillée de "salades de truffes", de "truffes à
l'étouffée", de "pâtés de truffes". Il n'y a guère de repas pris
sans truffe à la cour de Louis XIV. Elle demeura un plaisir réservé aux délices
aristocratiques …jusqu'à la Révolution.
Le XIXème, siècle de la truffe
Le XIXème siècle sera celui de l'apogée de la truffe. Elle
devint, pour la population aisée sans cesse croissante, un ingrédient
indispensable, un signe de reconnaissance, mêlé de snobisme. Le grand cuisinier
Brillat-Savarin, qui lui a donné le surnom de "diamant noir", écrit
que "la gloire de la truffe est à son apogée". Bien sûr, elle ne peut
être appréciée que par une minorité aisée, mais la truffe devint fréquente dans
la charcuterie, les volailles, les foies gras, les sauces dites " sauces
de Périgueux ". C'est à ce moment que la truffe mélano du Sud Ouest
(Périgord et Quercy) prit un certain ascendant sur celle de Provence et
qu'apparut le terme de "Truffe du Périgord", label de perfection. A
partir de 1863, le phylloxéra détruisit le vignoble qui fut partiellement
remplacé par des chênes truffiers. La production de "truffes du
Périgord" connut alors son apogée estimée à 1500 tonnes par an.
La Grande Guerre et le déclin
La Guerre de 1914/18 a porté un rude coup aux truffières.
Dans les campagnes décimées, le savoir-faire dans l'entretien et les
cueillettes a fortement régressé. L'exode rural a fait le reste, reléguant
cette activité à un rôle accessoire. La production s'est écroulée, estimée
actuellement à 40 ou 50 tonnes par an. De plus en plus rare, la truffe est donc
de plus en plus chère.
Un parfum de renouveau
Fort heureusement, depuis quelques années, les
trufficulteurs et les Pouvoirs publics se sont mobilisés pour faire repartir la
production. Ainsi, 200 hectares de
truffières sont plantées chaque année en Périgord et en Quercy, en utilisant
des plants de chênes truffiers et des noisetiers sélectionnés et mycorhizés.
A Sorges,
capitale truffière du Périgord, le musée de la truffe connaît un grand succès
auprès des producteurs et des amateurs. Les marchés aux truffes renaissent dans
notre Sud Ouest. A notre porte, se tient la marché de Caussade du lundi. Celui de Lalbenque est l'un des
plus importants de France. De décembre à mars, tous les mardis, des dizaines de
trufficulteurs s'installent dans la rue principale. Un parfum de truffe embaume
le village. A 14 heures précises, les autorités enlèvent le cordon séparant
vendeurs et acheteurs et c'est la ruée vers les plus beaux paniers.
Longtemps
hasardeuses, à la limite de l'honnêteté à cause d'espèces de moindre qualité
qualifiées abusivement de "truffes du Périgord" ou de la présence de
trous dans le spécimen remplis de terre voire de petits cailloux, les
transactions de truffes sur les principaux marchés se sont imposées des normes de
transparence et de qualité pour redonner confiance aux acheteurs. Maintenant,
il est même possible d'en acheter en toute sécurité par correspondance.
La cueillette
Bien sûr,
rien ne vaut de participer à la cueillette des truffes. J'ai eu cet avantage
dans mon enfance périgourdine. On partait dans les truffières avec un cochon
tenu en laisse. Il fallait repérer sous les chênes, les espaces de "terre
brûlée", signe favorable. Le cochon se mettait en recherche. Je tenais le
petit sac rempli d'épis de maïs. Quand l'animal "chavait" le sol, ça
"sentait la truffe". Il fallait alors, sans plus attendre, tirer sur
la corde avant qu'il ne mange lui-même la truffe et lui donner un épi de maïs
pour le récompenser et l'encourager. Ensuite, on grattait le sol avec
précaution à la recherche de la truffe. Quand un beau et mystérieux
"diamant noir" apparaissait, c'était une joie secrète qui se
manifestait surtout par un regard ébloui. On était en état de choc!
Bien sûr,
la belle et bonne truffe mélano du Périgord est très chère, de 2000 à 6000
francs le kilo, selon les années. Mais il faut savoir qu'une truffe de 40
grammes, coupée en fines lamelles glissées sous la peau, suffit à ennoblir une
volaille en "demi-deuil".
Alors,
bonnes fêtes… et bon appétit.
Jean Michel Audy
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