Mûriers et soieries
La sériciculture a un passé florissant en Tarn et Garonne et
autour de Villebrumier
Quelques rappels
Les
feuilles de mûrier constituent la nourriture exclusive de la
chenille de Bombyx
ou Ver à soie. Son élevage était
réalisé dans des pièces spéciales
appelées
magnaneries. Chaque cocon était défilé, en donnant
jusqu'à 1500 mètres de fil à
soie qui, tissés sur des métiers, donnaient
différentes soieries.
Cette
production de soie a été très longtemps un monopole, jalousement gardé, de la
Chine. Ses soieries étaient expédiées au Moyen Orient et en Europe par les
mythiques routes de la soie. Le mûrier ne fut ainsi introduit en France et dans
notre région que vers 1440. Mais ce ne fut qu'à partir du règne du bon Roi
Henri, sous l'impulsion du célèbre agronome Olivier de Serres, que la
sériciculture s'y développa.
Historique régional :
des hauts et des bas
Vers 1750,
on comptait 40 000 mûriers en Tarn et Garonne. Cet arbre était très bien adapté
à notre climat et à nos terres de boulbènes. Les mûriers sont signalés
"dans la plaine de Lizac, dans la région montalbanaise et autour de
Villebrumier" (1). Et à Montauban on recensait déjà 400 ouvriers soyeux.
En 1773, un
montalbanais, Antoine Soulié, imagine un moulinage de la soie, économe en main
d'œuvre et améliorant la qualité de la fibre. En 1775, cinq métiers furent
créés pour fabriquer des étoffes de soie appelées "raz de saint cyr".
A cette même époque, Montauban fournissait, sur 70 métiers à tisser, 12 000
paires de bas de soie vendues dans tout le Sud Ouest.
En 1780,
une fabrique de gaze de soie s'installe à Montauban.
La
Révolution de 1789 arrête l'élan de la sériciculture dans le Tarn et Garonne :
il est conseillé aux paysans d'arracher les mûriers au profit des céréales. Les
trois quarts de ces arbres disparaissent. Toutefois, 14 000 d'entre eux
échappent à l'hécatombe dans la plaine
de Lizac.
Après la
tourmente révolutionnaire, certaines régions, comme les Cévennes, se remettent
à la culture du mûrier et à l'élevage
des cocons. Le Tarn et Garonne connaît un nouvel essor de la production
de soie, avec l'encouragement des autorités. C'est ainsi, par exemple, qu'en
1842, le Comice agricole de Castelsarrasin décerne une prime à une plantation
de 53 000 mûriers. Et Montauban redevient un centre important de filature et de
tissage. des primes sont accordées aux éleveurs de vers à soie qui exposent
leurs cocons en ville. Si bien qu'en 1847, on récolte dans le département 40
tonnes de feuilles de mûriers et 40 à 50 tonnes de cocons. Mais devant cet
essor, le Gouvernement supprime toute prime (l'administration chaotique de
notre agriculture est donc ancienne…). Cette décision, à laquelle s'ajoute à
partir de 1854 une maladie, la pébrine, porte un coup sévère à l'industrie de
la soie. Heureusement, la découverte des causes par notre grand Pasteur permet
à la sériciculture de se relever et, en 1870, on compte 6 usines à soie, 140
tours à filer et 268 métiers à tisser à Montauban.
Mais à
partir de 1892, une baisse irréversible de cette activité passionnante se
déclare à cause de la concurrence des productions de Chine en particulier ,
exacerbée par les facilités de transport par le nouveau Canal de Suez. En 1903,
on ne trouve plus que 150 éleveurs "concentrés autour de Montauban et
Villebrumier"(1).
Après 1914,
la soie française redevient (très provisoirement) rentable, malgré l'apparition
de la soie artificielle. Entre les deux guerres, arrivent de nombreux Piémontais
dans notre département. Comme ils connaissent bien cette production, ils s'y
livrent par habitude et la sériciculture est à nouveau encouragée. La filière
tente de s'organiser, mais les résultats sont décevants.
Durant la
dernière guerre, l'élevage du ver à soie était toujours présent à Villebrumier
comme en témoigne le carnet de l'institutrice Rose Rey, la mère d'Arlette
Tournou. Cet élevage servait "d'éducation scolaire" et alimentait les
élevages de quelques villebrumiérains. La vente des cocons recevait même une
prime en nature… ou en laine, très appréciée dans ces moments de restrictions.
D'après Sylvette, qui a suivi ces travaux pratiques, le dernier élevage de
Villebrumier serait celui de Germaine Galinié, près de la place de la Croix,
vers la fin des années 1950.
Après la guerre 39/45, nos
agriculteurs se tournent vers d'autres activités, plus rentables, comme
l'arboriculture et le tabac, et abandonnent définitivement mûriers et vers à
soie.
Souvenirs, souvenirs…
Mais le
bruit des vers à soie dévorant les feuilles de mûriers reste présent aux
oreilles de plusieurs de nos concitoyens. Ils se rappellent des nombreux
mûriers de notre commune situés chemin de Marret, route de Varennes ou dans le
champ Coulom près du Communal. On peut encore voir dans nos campagnes quelques
vieux mûriers (qu'il serait judicieux de protéger) près des fermes Jourdes et Daures par exemple. Un peu
plus loin de nous, restent de très belles allées de mûriers près de Bondigoux ou
de Layrac. Ce sont les derniers témoins d'une activité multiséculaire de
plusieurs milliers de Tarn et garonnais, éleveurs ou soyeux.
Maintenant, d'autres mûriers agrémentent nos jardins et nous
dispensent leurs ombrages bienfaisants. Mais quel dommage qu'ils ne puissent
plus participer à la merveilleuse épopée de notre soie naturelle…
Jean Michel Audy
(1)
André Pueyo, "Les petites industries d'un département
agricole", Forestié éditeur, Montauban - 1946.
Yves
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