Souvenirs d'une seconde mission technique en Chine
Cette seconde mission de 15 jours l'été dernier avait pour cadre l'académie d'agriculture de la province du Xinjiang.
Son objectif était d'apporter mon expérience sur la sélection et la culture du tournesol
Le Xinjiang, la nouvelle frontiere
Cette grande province (3 fois la France), très peuplée (20 millions d'habitants) est située à l'extrême ouest de la Chine, en Asie Centrale, et partage sa frontière internationale avec 8 autres nations, dont la Mongolie à l'est, la Sibérie au nord, le Kazakhstan à l'ouest, l'Inde au sud.
C'est un pays de déserts et de plateaux arides, qui s'étendent à perte de vue avant de buter sur de vertigineuses chaînes de montagnes aux neige éternelles.
Ce pays de nomades connut l'influence chinoise dès le 1er siècle avant J.C, avec l'ouverture de nouvelles routes de la soie, par les oasis de Turpan au nord et de Kachgar au sud. Ensuite ce pays ouvert connut successivement la domination mongole, turque, mandchoues, russe...
La domination impériale chinoise a été discontinue. Ce n'est qu'en 1760 que le Xinjiang a été officiellement intégré à la Chine, et depuis 50 ans et l'instauration du régime communiste, que cette intégration est effective (et quelque peu contestée par les populations d'origine). Cette histoire mouvementée fait que le Xinjiang est peuplé par une vingtaine d'ethnies différentes, souvent musulmanes ou turcophones.
Le Xinjiang, province strategique
Cette région frontalière revêt une double importance stratégique pour la Chine.
C'est sa frontière ouest avec des pays peu stables, et minés par l'intégrisme religieux. Ce sont des énormes réserves de pétrole et de gaz, encore récemment découvertes, en particulier dans le bassin du Tarim.
En conséquence, le gouvernement chinois met des moyens très importants pour développer les infrastructures, les villes, l'agriculture et favorise le transfert de millions de chinois Hans pour les stabiliser et intégrer cette province. Ceux-ci sont maintenant presque majoritaires. C'est une véritable colonisation. Les villes nouvelles poussent comme des champignons, à l'exemple de Sihezi, où je résidais, qui a 200 000 habitants.
Il s'agit de villes modernes, de type occidental, avec de larges avenues arborées et fleuries, de grandes places, beaucoup d'espaces verts. La vie y semble relativement plus facile, mais beaucoup moins pittoresque que dans le Zhejiang, lieu de ma première mission (Cf. Entre-Nous n° 52, décembre 2002).
Le Xinjiang agricole
Le Xinjiang est une région aride (200 mm d'eau/an), avec des hivers très rudes et des été torrides. C'est un pays aux immenses paysages, avec ça et là quelques troupeaux de moutons, de chèvres, de vaches ou de chameaux qui transhument sous la surveillance de fiers cavaliers le plus souvent nomades.
A l'origine, l'agriculture était cantonnée le long des fleuves et dans les rares oasis. Mais récemment de grands périmètres incultes ont été mis en valeur grâce à l'irrigation, l'eau étant amenée des montagnes, par des canaux, sur des centaines de km. Ainsi, des zones arides se sont transformées en de magnifiques champs de coton (350000 ha), de maïs (300000 ha), de tournesol (150000 ha), de légumes, de vignes...
Cette politique de mise en valeur va se poursuivre, car il faut développer l'agriculture pour faire face à l'afflux de population. J'ai visité certains de ces nouveaux périmètres irrigués, chacun de plusieurs milliers d'hectares et où le tournesol était très présent et bien cultivé.
Pour un agronome, c'est une véritable émotion de voir un désert se transformer en de magnifiques cultures nourricières par le génie des hommes et le miracle de l'eau !
Le Xinjiang traditionnel
Pour visiter quelques nouvelles zones de culture de tournesol, j'ai fait un périple de près de 2000 km (avec des routes parfois fermées, ce qui me vaudra de longues heures de pistes) jusqu'aux frontières nord, à quelques kilomètres de la Mongolie extérieure, de la Russie et du Kasakhstan.
Ces régions traversées sont parfois totalement minérales et désertiques, soit parées de vaste collines aux perspectives infinies. Et le grand silence, le grand vide. Seulement, parfois quelques troupeaux avec leurs cavaliers disséminés dans le paysage. De rares yourtes isolées ("maisons" rondes en toile que les éleveurs nomades déplacent avec leurs troupeaux). Pratiquement pas de véhicules à moteur. Tout déplacement se fait à dos de cheval, et cela dès le plus jeune âge. Ces nomades semblent nés sur un cheval. Homme et animal ne font qu'un. J'ai admiré l'allure et la fierté des ses cavaliers mongols, kazakhs, ouighours...
Rappelons nous de leurs lointains ancêtres (Attila, les Huns...) avec leurs petites montures robustes et rapides (déjà la guerre de mouvement) ont traversé et terrorisé l'Europe.
Ici, la couleur dominante est le vert clair des maigres pâturages. En perspective, cela rappelle un terrain de golf, tant l'herbe est maintenue rase. De plus près, est voit hélas que cette herbe est chétive et très clairsemée, car surpâturée. La richesse et le considération de ces familles nomades étant liées à l'importance du troupeau, la tendance naturelle est d'augmenter le nombre d'animaux au delà des capacités de production de ces espaces arides. Ce surpâturage détruit l'herbe, limite la production, entraîne l'érosion par le vent... et la désertification. C'est le cercle vicieux !
Le nomadisme induit une certaine irresponsabilité : quand il n'y a plus d'herbe ici, on va plus loin. Mais ce plus loin est de plus en plus épuisé.
Techniquement, il faudrait ménager un temps de repos suffisant entre deux pâturages, pour que la pâture puisse se reconstituer et produire plus. En pratique, cela suppose des parcelles clôturées. Mais alors on change de civilisation : comment circuler librement à cheval avec des clôtures ? Comment préserver les traditions des "peuples du vent" ? Vaste problème !
Un peu de technique
Le tournesol est bien adapté aux conditions agro-climatiques des ces nouvelles zones irriguées (soleil + eau). Aussi, cette culture occupe-t'elle déjà des surfaces importantes. Dans le Xinjiang, il s'agit d'une culture récente, encore non complètement maîtrisée techniquement.
Le niveau des chercheurs et des techniciens est bon. Mais leurs moyens de sélection et d'expérimentation sont insuffisants comparés à ceux de l'Europe, en particulier. Leurs variétés sont peu homogènes et surtout insuffisamment résistantes aux maladies et la verse. L'irrigation par submersion entraîne un gaspillage de l'eau (évidemment très précieuse) tout en étant mal adaptée aux besoins du tournesol ; il serait judicieux de préférer l'irrigation par aspersion.
L'essentiel de mes recommandations a été de tisser des relations de travail et d'échanges entre eux et les instituts et sociétés ad hoc en France (avec mon aide éventuelle) pour permettre au Xinjiang de progresser plus rapidement. Sinon, le développement des maladies, s'il n'y est pas porté remède, risque de compromettre l'avenir de cette culture.