Le déclin de la navigation sur le Tarn
Le système du commerce colonial demeure fragile. Qu'une révolte
secoue l'organisation des échanges, que le trafic sur la mer soit
perturbé ou interrompu, les clients ne commandent plus faute de
pouvoir être livrés et, en contrecoup, le port de Bordeaux, la
batellerie des affluents de la Garonne, tout est graduellement
asphyxié. La première étape du déclin s'est produite à la fin
du XVIIIème siècle. Que s'est-il alors passé pour réduire presque
à néant les profits tirés de ce négoce qui empruntait le Tarn,
pour ruiner les investissements massifs faits par les négociants
qui ont rénové ou construit les moulins des années 1760-1780?
Tout bascule à la fin des années 1780, avant même la Révolution,
pour la plupart des négoces. Dès la fin de la guerre d'Amérique,
en 1783, et pour encourager la jeune république des Etats-Unis,
le gouvernement royal annonce qu'il n'interdit plus l'entrée des
farines dans les colonies de Saint-Domingue et des Antilles. L'obligation
faite aux colons d'acheter uniquement en métropole, en vertu de
l'" Exclusif ", est abolie ; il est clair que ce choix politique,
dicté de toutes les façons par la nécessité d'assouplir ce commerce
affecté par une irrésistible contrebande, sonne le glas de l'importation
du minot aquitain. De ce point de vue Bordeaux et tout son arrière
pays ont bâti une partie de leur prospérité sur une rente de situation
qui n'a aucune solidité, pas plus que celle qui s'effondre en
1762-63 avec la perte du Canada. Cette crise que l'on croit passagère,
inquiète les minotiers, mais l'été 1789 amène d'autres bouleversements
encore plus profonds : la liberté du commerce et la liberté des
hommes, deux principes bien accueillis, sauf lorsqu'ils s'appliquent
aux esclaves des colonies, de Saint-Domingue, de la Martinique,
de la Guadeloupe. Ces hommes coupent la canne à sucre, distillent
le rhum, assurent par leur activité la prospérité du commerce
de la colonie. Ils sont aussi consommateurs du minot, la base
de leur nourriture. L'incertitude politique, les révoltes comme
celle de Toussaint Louverture, tout concourt alors à restreindre
les importations. La chute sérieuse du trafic se poursuit, au
début du 19ème siècle. Que cesse l'appel extérieur, et le mouvement
de la navigation retombe à un niveau beaucoup plus modeste, en
délaissant même des tronçons de cours d'eau difficiles à pratiquer.
Lorsque les obstacles sont trop difficiles à franchir, le plus
rentable est d'abandonner le trafic d'une portion de rivière.
Un tel abandon s'est produit sur l'Aveyron lorsque les grands
moulins cessent de moudre pour la demande américaine, ou sur l'Agout
qui est délaissé entre Lavaur et le confluent du Tarn lorsque
les chemins sont mieux entretenus ou, plus simplement, s'ouvrent.
Dans une requête transmise en 1812 au préfet du Tarn-et-Garonne,
les négociants de Moissac relèvent bien le fait : "Ils ont l'honneur
de vous représenter que depuis un temps immémorial la rivière
de l'Aveyron a été navigable depuis son embouchure jusqu'au pont
de Bias, que c'est par bateaux que tout le bois qui a été exploité
dans la forêt de la Grésigne a été transporté à Bordeaux. De tous
les temps, si ce n'est depuis quelques années, la rivière de l'Aveyron
était navigable..." Requête des négociants de Moissac, Archives
départementales de Tarn et Garonne. En novembre 1812 : Moissac
n'est plus l'"entrepôt de l'Océan" décrit avec un peu de complaisance
par ses magistrats dans l'Enquête sur le roulage faite cette année
là par le gouvernement. Il ne s'agit plus que de faciliter le
transport des bois destinés à la construction du futur pont Napoléon
: les mariniers de Moissac vont les chercher à Albias. Bien que
limité aux produits courants, le trafic sur le Tarn continue.
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