La séparation de l’Eglise et de l’Etat
Curieusement, laïcité, privatisation et réduction du nombre de fonctionnaires… étaient des sujets d’actualité… de 1905.
C’est par un vote du 9 décembre 1905 que les législateurs ont édité la loi connue sous les termes de ‘Séparation de l’Église et de l’État’. C’est, en réalité, l’État qui se sépare de toutes ses Églises…. Et plus particulièrement du personnel qui y est attaché, quel qu’en soit le culte. Cette loi, complétée par Décret du 19 janvier 1906, dont la responsabilité est dévolue au Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux Arts et des Cultes, comporte en ses articles des délais de mise en oeuvre extrêmement courts. (Document A)
Inventaire à Villebrumier Dès le 16 février, sous couvert de l’article 3 de la dite loi, le percepteur (dénommé Bonneville) des Contributions Directes de Villebrumier (missionné par la Direction Générale des Domaines) procède, malgré les protestations, à l’inventaire des biens dépendant de la ‘Fabrique paroissiale’ et de la ‘mense’ de Villebrumier. Le mot ‘Fabrique’, avant la loi de séparation, désignait, tantôt l’ensemble des biens affectés à l’entretien du culte catholique, tantôt le corps spécial chargé de l’administration de ces biens. Conséquence de cette loi, ces fabriques, qui étaient des établissements publics, auraient dû être remplacées par des associations privées. Devant le refus du pape Pie X, la loi du 2 janvier 1907 régla la dévolution des biens de l’Eglise. Les associations diocésaines n’apparurent qu’en 1924, sous Pie XI. Par ‘Mense’ on entendait ‘Revenu ecclésiastique’. Par exemple, la ‘Mense abbatiale’ est le revenu affecté à un abbé ; la ‘mense épiscopale’ est le: revenu affecté à l’évêque. A Villebrumier, l’inventaire débute à 2 heures de l’après midi, en présence, pour la Fabrique, de Jean Lages (trésorier), et de Pierre Tournou (propriétaire), le président Martial Beaute étant absent… Le curé Gilles Serres, donne lecture de la protestation officielle : (Documents B). « Protestation Par ordre de Monseigneur l’Evêque de Montauban, en son nom et en notre qualité de gardien et administrateur des biens de l’église de Villebrumier, nous, Antoine Jean Gilles Marie Serres, et nous, Jean Lages et Pierre Tournou, délégués du Conseil de fabrique de cette paroisse, déclarons ne pouvoir ni ne vouloir coopérer à l’inventaire dont vous êtes chargés, tant que le Souverain Pontife à qui seul appartient la disposition et l’administration des biens ecclésiastiques ne nous y aura autorisés… » Une heure plus tard, les inventaires sont terminés… que les requis présents refusent de signer. (Document C) La lecture des documents donne à connaître du nombre et de la valeur des biens inventoriés. (Documents D) Il apparaît que, sur un total de 3350 francs, les bien les plus appréciés sont le marbre des autels (à la somme de 1.200 Francs) et les 2 cloches (400 Francs), tandis que les bâtiments, d’une part l’église, datée de 1721, dont le curé dit n’avoir jamais eu de titre de propriété, et d’autre part le presbytère, propriété de la commune, ne sont estimés qu’à 1.000 Francs chacun.
Dans les communes voisines Ces inventaires se répètent dans tous les lieux de culte, à bonne cadence. Qu’on en juge : 4 le 19 février, à Reyniès, d’abord à 2 heures ‘du soir’, en présence du curé, qui a lu la protestation, et des membres de la Fabrique. Total : 7015 francs (église de 1858 et presbytère ; propriétés de la commune, 1000 francs chacun), ainsi que quelques titres de rentes… ; puis à 3 heures ‘du soir’ à Moulis en présence du seul curé. Total : 2145 francs dont l’église 600f, elle aussi propriété de la commune. 4le 20 février à Saint-Nauphary. 4 le 21 février à Charros (commune de St-Nauphary). 4 le 23 février à Varennes, où après la protestation (quasi identique à celle de Villebrumier), il a été exposé que divers mobiliers visibles dans l’église, appartiennent, en réalité, à des particuliers et non à la Fabrique Cette objection semble avoir été acceptée (Documents E1, E2) 4le 24 février à Verlhac-Tescou… Et cela continue avec, parfois, quelques péripéties, comme ce 2 mars à Corbarieu : les représentants refusant d’ouvrir, la force est requise afin que l’inventaire puis s’établi, pour un total de 1.423 francs (le maître-autel n’est qu’en bois partiellement plaqué de marbre, et la cloche n’est retenue qu’à la valeur de 50 francs). L’inventaire est bouclé en une heure et demie, lecture des protestations, qui y sont annexées, comprises. L’église de 1668, estimée à 150 francs et le presbytère à 60, sont propriétés de la commune. Dans la lettre de protestation manuscrite habituelle qui émane du curé et des membres du Conseil de Fabrique, il est précisé que Pie X a condamné cette loi par une encyclique du 11 février 1906. Les termes de la deuxième lettre de protestation, tapée à la machine (!), rédigée par De Scorbiac, président de la Fabrique, sont plus véhéments. (Document F) Il est à noter que la chapelle de secours, dite de Bonrepos, n’a été inventoriée que le 24 novembre. Un oubli sans doute.
La situation des fonctionnaires religieux A cette vague d’inventaire, spectaculaire s’il en est, s’y ajoute l’autre volet moins singulier, mais vraisemblablement plus sérieux pour l’Etat : la suppression des fonctionnaires. Cette élimination semble avoir été l’objectif principal de la loi de ‘séparation de l’Eglise et de l’Etat’. Les conditions d’indemnisation des fonctionnaires ‘licenciés’, telles que décrites dans la loi, ne paraissent pas être d’une grande clarté. Les documents portant sur le projet de loi, en date du 16 février 1905, soit un an avant son vote, en sont l’exemple (Document G) Une note du 27 janvier 1906, qui redéfinit le décret du 19 du même mois, en explique les modalités ‘Rentes viagères’ ou ‘Allocations temporaires’, prévues par l’article 11 de la loi, et rappelle le délai extrêmement court de règlement des dossiers, la loi en préviyant les premiers paiements aux 31 mars et 1er avril 1906. (Document H) Tout n’est pas clarifié pour autant, tant les consignes sont sujettes à diverses interprétations. En raison de leur complexité, et toujours dans la précipitation, elles sont détaillées et explicitées, à nouveau, par ‘Instruction’ du 24 février reprises dans une ‘Notice’ manuscrite rédigée à Montauban (Document I) Les points les plus controversés semblent être, d’une part, le choix possible entre ‘Allocation temporaire’ et ‘Rente viagère’ qui pose problème tant du coté du demandeur (optimisation du choix) que de l’administration (procédures différentes dans les droits de timbre et d’enregistrement) et d’autre part les années de service ‘rétribuées par l’Etat’ ainsi que la qualité, le‘grade’ ecclésiastique, en quelque sorte, à prendre en compte. Le cas du pasteur Soleyret, de Corbarieu, illustre ce problème de choix financier : par lettre manuscrite, le 1er mars 1906, il opte pour la disposition du paragraphe 6 de l’article 11 de la loi débouchant sur l’ouverture du dossier de demande d’allocation temporaire à soumettre à la signature du préfet, en mars 1906. (Document J) Le dit dossier est soumis à enquête et vérifications, notamment sur les états de service. Ce point particulier semble être bien délicat car déjà abordé dans le projet de loi. Par circulaire, du 27 mars 1905, l’administration parisienne demande aux préfets d’établir des tableaux chiffrés du personnel ayant l’ancienneté requise au service de l’Etat. Il y est recommandé de ne s’adresser aux administrations ecclésiastiques qu’en cas de nécessité absolue Le télégramme d’avril rappelle à nouveau la différence entre ancienneté générale, au service de l’Etat, du Département, de la Commune (25 ans requis) et ancienneté au seul service de l’Etat, qui doit être de 20 années pour une prise en compte dans le droit à pension. (Document K) A partir de l’ensemble de ces dossiers, il est nécessaire d’établir un recensement des dits fonctionnaires. Même si c’est au niveau départemental que s’étudient les dossiers et qu’une proposition financière doit être présentée, la décision d’attribution appartient au ministère. Les dossiers sont donc expédiés à Paris comme le prouve la note d’envoi de 36 demandes de Pensions viagères en date du 28 avril 1906. (Des listes récapitulatives sont établies (Document L)
Une administration centrale tatillonne Les services parisiens multiplient les demandes de complément d’information et les pressions qui s’apparentent à des représailles. Par ‘circulaire télégraphique’, c’est à dire un télégramme chiffré ( !!!!) du 19 mars 1906, suivi d’un rappel par télégramme toujours chiffré ( !!!!) du 29 mars 1906, dont la transcription fait l’objet d’une note en clair, il est demandé de transmettre les noms de ceux qui, parmi les demandeurs d’allocation ou pension, auraient eu une attitude critiquable lors des inventaires… Au courrier du 28 avril 1906, portant sur l’expédition de 23 dossiers de propositions d’allocations temporaires, Paris, par note de service du 15 mai 1906, retourne 21 dossiers d’allocation à la préfecture, pour que soit mentionnée la durée totale des services rétribués par l’Etat, pour chacune des demandes, ainsi que la légalisation de deux signataires. A la lecture des nombreux documents répertoriés aux Archives Départementales sous les rubriques 52V1 et V87, apparaissent de nombreux noms et dossiers comme celui de Gouze, vicaire à Monpezat, du 1 au 11 décembre 1905, qui lui vaut une ancienneté de 11 jours, et qui antérieurement était à Villebrumier… mais non rétribué par l’Etat, qui ne lui vaut aucune ancienneté. Cependant, il est fait état d’une proposition de la somme de 450 F. Le desservant Couderc Ludovic du Fau (ancienneté 7 ans 9 mois 7 jours) se voit proposer 900 F tandis que Soulier (35 ans d’ancienneté de service) est proposé pour 1200 F. Serres Antoine, 78 ans, ex curé de Villebrumier (plus de 50années d’ancienneté) est proposé pour 1.600 F (Document M) Diverses listes prévisionnelles avec salaires et taux de pension en fonction du titre religieux, avaient été établies. Dès le 16 février 1905, le consistoire de Montauban avait relevé des états de service de ses pasteurs La préfecture avait, elle aussi, rédigé un état numérique, par culte, à la date du 21 février 1905. Sur le relevé du 31 mars 1905, on peut y lire que les 6 pasteurs protestants ont un traitement annuel de 1.800 ou 2.200 francs tandis que les 27 curés sont rétribués entre 1.200 et 1.600 francs par an. L’évêque émarge à 10.000 francs par an, les 2 vicaires généraux à 2.500, le chanoine à 1.600. Plus d’une centaine de desservants touchent entre 900 et 1.300, les plus mal lotis étant les vicaires pour 450 francs annuels. (Documents N1, N2) Le résultat final des diverses tractations, propositions, rejets et acceptations n’étant pas disponible dans la série de documents consultés, on peut s’en faire une petite idée. Dès le 2 mars 1905, le président du Consistoire de Montauban fait état de sa préoccupation auprès du préfet : « Voilà des hommes de 40 45 ans, chargés de famille, jetés sur le pavé avec… 400 francs pour vivre. De notre situation par suppression d’emploi, on nous donne, comme une aumône, à peine de quoi ne pas absolument mourir de faim, nous et notre famille. N’est ce pas violer le droit et la justice ? » (Document O) Par courrier, adressé au préfet, du 11 octobre 1905 (en réalité 1906, car enregistré le 12 octobre 1906 avec tampon de la veille), le curé de Golfech fait état du refus de l’administration de lui attribuer la pension à 450 francs, de l’avoir contraint à choisir entre l’allocation de 8 ans et celle de 4 ans, et de n’avoir encore rien touché à ce jour. Autre temps, autre moeurs ? Que nenni ! Le temps passe, même les siècles, mais les problèmes perdurent… Trop de fonctionnaires ? Retraites trop faibles ?…N’est-ce pas encore et toujours d’actualité ?
ENQUÊTE DE JEAN-LOUIS
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