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Quelques aspects locaux de la Seconde Guerre mondiale

Sur les traces des petites Juives d’Orgueil


Par deux fois, d'abord dans le numéro hors-série "Villebrumier pendant la Guerre 39/45", puis dans le numéro 67, Georgette Brugnara a témoigné de l'arrestation, sous ses yeux, en pleine classe, de fillettes juives réfugiées à Orgueil. Par coïncidence, elle apprend la visite en mai 2005, des trois sœurs Teitelbaum qui souhaitaient revoir les lieux où elles avaient vécu plus de soixante ans auparavant ! N'ayant pu les rencontrer, elle écrit néanmoins à Bertha qui, mariée, est devenue Mme Schwartz et vit à Baltimore, aux USA.
Après un premier échange dont Entre Nous a rendu compte, voici la deuxième lettre que Bertha a fait parvenir à Georgette. L'épisode de la rafle survenue dans l'école n'est pas mentionnée. Peut-être Georgette, âgée à ce moment-là de dix ans, a-t-elle confondu deux familles car on en comptait cinq de confession juive à cette période dans le village ?
Voici le témoignage poignant de l'une des "petites juives d'Orgueil". 
Par ailleurs, Jean-Louis s'est plongé dans les archives départementales et replace les souvenirs mis à jour dans le contexte de l'époque. 



Mon père Asher vivait à Anvers, en Belgique (1). Il avait épousé ma mère Dora en 1932 à Cologne, en Allemagne. Ils avaient tous deux 21 ans. La cérémonie avait été modeste, car les Juifs n'avaient déjà plus le droit de donner de grandes réceptions juste avant l'arrivée de Hitler au pouvoir. Le couple s'est installé à Anvers où vivaient les cinq sœurs et le frère de mon père qui a appris à tailler les diamants. Nous sommes trois filles : moi, Bertha, née en 1933, Malka en 1936 et la cadette Bella l'année suivante. Nous nous retrouvions souvent en famille et entre cousins, en particulier pour le Sabbat du samedi. Mes grands parents maternels nous avaient rejoints en 1939, la situation en Allemagne étant devenue très dangereuse pour eux.
Le 10 mai 1940, lorsque l'armée allemande a envahi la Belgique, mes parents ont rapidement décidé de s'enfuir en France. J'étais âgée de sept ans et mes sœurs avaient quatre et trois ans. Mes parents avaient mis toutes leurs possessions dans des valises et emporté quelques vivres pour le voyage. Nous nous sommes précipités à la gare qui débordait de monde, des adultes et beaucoup d'enfants. Nous avions très peur de perdre nos parents. Le train est arrivé et tout le monde a essayé de monter à bord. On nous a fait passer par une fenêtre pour que nous puissions entrer. Toute notre famille a réussi à avoir des places. Quand le train est parti dans la soirée, nombreux étaient les passagers qui se trouvaient debout. Personne ne pouvait bouger.
    Le lendemain matin, nous avons entendu les avions allemands survoler le convoi et les bombes ont commencé à tomber. Nous avons dû descendre des wagons et aller nous cacher dans les champs. Lorsque la locomotive a sifflé, nous avons couru pour remonter à bord. Comme quelques wagons ont été endommagés, les voyageurs se sont entassés dans les autres, mais il n'y avait pas assez de place pour tout le monde et certains sont restés en rase campagne. C'est ainsi que des familles on été séparées. Pour nous, enfants, il était difficile de comprendre ce qui se passait. Nous ne pouvions pas poser de questions, et de toute manière personne ne savait ce qui allait arriver.
    Nous avons ainsi voyagé pendant huit jours sous les bombardements allemands. A chaque fois que le train s'arrêtait, nous en descendions pour avoir un peu d'eau que fournissait la Croix Rouge. Nous allions aussi aux toilettes. Nous avons eu de la chance de pouvoir rester ensemble jusqu'à notre arrivée dans le Sud de la France, à Villemur. Nous étions désormais des "réfugiés".
Lorsque nous avons débarqué du train, la Croix Rouge nous a emmenés dans le gymnase de l'école et nous a donné des lits de camp, des couvertures et des serviettes. C'était la première fois depuis notre départ d'Anvers que nous pouvions prendre une douche ! Après quelques semaines, toute notre famille, y compris les grands parents, s'est retrouvée dans un appartement proche du Tarn. Ma mère allait laver le linge dans la rivière. Comme nous n'avions pas de papiers d'identité, c'est moi qui allais faire les courses. Ma mère, qui connaissait un peu la langue du pays, me donnait de l'argent et me disait ce que je devais demander en français : du pain, des pommes de terre, du beurre, des œufs, etc.
Nous jouions près du fleuve en essayant de ne pas nous faire remarquer car les gendarmes étaient à la recherche de réfugiés. Un jour, ils ont arrêté mon père qui avait quitté l'appartement. Alors, ils sont venus nous chercher et nous ont emmenés, avec les grands parents, dans un camp près de Gaillac qui s'appelait "Brenz" (2). Le lieu débordait de réfugiés dont des personnes âgées. Nous dormions dans des pièces glaciales sans chauffage où il y avait des rangées de lits superposés. Les enfants couchaient tout en haut. Nous devions faire la queue pour recevoir deux repas par jour : un bol de soupe et un morceau de pain. Nos parents s'inquiétaient énormément que nous n'ayons pas assez à manger.
Ma jeune sœur a eu la diphtérie et toute la famille a été mise en quarantaine et séparée du reste du camp.
Un jour, le camp a été vidé, à l'exception de quinze personnes qui y sont restées. Les autres ont été envoyées à Drancy et puis à Auschwitz. C'est à ce moment-là que mon père s'est échappé et a pris le train pour Montauban où il s'est rendu au bureau de la Résistance française (3) pour obtenir de l'aide et de faux papiers pour nous tous. Il est revenu au camp la nuit. Il n'y avait pas de lune et il nous a conduit à la gare avec nos bagages pour aller à Montauban. Il nous a fallu attendre nos nouveaux noms. On nous a indiqué que nous allions vivre à Orgueil et on nous a demandé de nous séparer de nos grands parents. Nous ignorions leur destination. Nous ne les avons plus jamais revus. Nous avons su par la suite, grâce à Monsieur Steiner qui se trouvait avec eux à Saint Sulpice, qu'ils on été arrêtés à Lacaune, dans le Tarn, en septembre 1942 et qu'ils ont été envoyés à Drancy et puis à Auschwitz (4) . Lors de notre passage, en mai 2005, nous avons vu une plaque sur laquelle figurent leurs noms. C'était très émouvant pour nous de revoir l'endroit où nos grands parents se sont cachés après notre séparation et de trouver un mémorial dédié aux Juifs de ce village qui ont été déportés dans les camps de concentration.
Quand nous sommes arrivés à Orgueil, par autocar, le Maire a été très gentil avec nous, m'a raconté ma mère. Il nous a conduit au chalet que vous connaissez : il n'y avait ni eau courante ni électricité mais nous étions heureux d'être là ensemble. C'est dans ce village que ma sœur Magdaléna et moi sommes allées à l'école. Cinq familles juives vivaient dans la commune (5). En avril 1942, les gendarmes sont venus à notre domicile et on arrêté mon père. Il a été envoyé dans un camp de travail près de Septfonds. Nous lui avons rendu visite deux fois avec notre mère. C'était dur pour elle de se trouver seule avec trois enfants. Elle savait que les gendarmes viendraient nous arrêter aussi (6), car le gouvernement de Vichy arrêtait d'abord les hommes puis ensuite les femmes et les enfants.
Je voudrais remercier Monsieur Meesseman, maire d'Orgueil, pour son accueil dans son bureau et pour les efforts qu'il a fait pour nous aider à retrouver le chalet où nous avions vécu. Mes sœurs et moi ne l'oublierons jamais.
Un rabbin qui effectuait des visites au camp de travail a demandé à notre mère de nous envoyer ailleurs avant que les gendarmes ne viennent nous arrêter. Alors ma mère m'a expliqué que je voyagerai en autocar avec Magdaléna jusqu'à Montauban où un homme nous attendrait. Nous avons quitté Orgueil en septembre 1942, j'avais alors neuf ans et ma sœur six. Quand nous sommes arrivées à destination, le bureau était fermé. Je suis restée dehors avec ma sœur et me suis mise à pleurer. Un homme s'est approché de nous et m'a questionnée. Je lui ai expliqué que je devais rencontrer quelqu'un dont j'ignorais le nom. Il m'a répondu : " Je suis celui que vous cherchez. " Tous trois, nous avons pris le train pour Marseille à la gare de Montauban. Il fallait apprendre nos nouveaux noms. Parvenus à destination, les gendarmes ont réclamé les papiers d'identité. Comme le nom de notre accompagnateur était différent du nôtre, il a été arrêté. Nous, les enfants, avons été conduites dans un hôtel proche. C'était un établissement réservé uniquement aux femmes réfugiées qui attendaient le prochain convoi pour Drancy. Nous y sommes restées durant deux semaines jusqu'au jour où deux garçons sont venus nous chercher et nous emmener dans un château de la banlieue de Marseille, un endroit où le rabbin Schneerson essayait de sauver les enfants juifs dont les parents avaient été arrêtés.
Ma plus jeune sœur nous a rejoint un mois plus tard. Ce refuge était bondé. Il nous fallait partager le peu de nourriture qu'il y avait. Et nous avions constamment faim. Le rabbin ne pouvait obtenir suffisamment de coupons alimentaires pour satisfaire tout le monde.
Nous avions perdu tout contact avec ma mère qui avait quitté Orgueil et a vécu avec une famille qui l'a cachée près de Montauban. Nous ne l'avons revue que lorsque les Allemands ont envahi le Sud de la France et avons dû quitter Marseille.
Nous, les enfants, nous sommes retrouvées à Demu, près de Toulouse dans une maison négligée qui n'était plus habitée depuis plus de dix ans. Pour nous rejoindre, notre mère qui se cachait avec sa tante à Lectoure, a marché des dizaines de kilomètres. C'était l'hiver et nous avons toutes attrapé des poux et sommes tombées malades. Quand elle nous a vues, nous avions le crâne rasé et étions sales et affamées. Elle avait envie de nous prendre avec elle, mais quand elle est repartie, nous avons toutes beaucoup pleuré car nous ne savions pas si nous nous reverrions un jour. 
Après quelques mois, on nous a dit de faire nos bagages car une dame allait nous conduire près de notre mère. Il nous fallait naturellement de nouveaux papiers et de nouveaux noms. Nous avons abouti à Megève où nous l'avons enfin retrouvée. Là, nous avons attendu tout l'été jusqu'au 9 septembre quand un fermier nous a fait passer clandestinement la frontière Suisse en compagnie de seize autres personnes. Ma mère et Bella, ma plus jeune sœur, ont été conduites à un hôtel pour réfugiés à Morzine tandis que Magdaléna et moi nous sommes retrouvées dans une pension pour enfants près de Montreux. En 1945, nous avons dû quitter la Suisse car aucun réfugié n'était autorisé à y rester. Nous avons alors décidé de faire une demande pour entrer en Palestine (aujourd'hui Israël) et nous avons obtenu un certificat des Britanniques pour y partir. J'avais dix sept ans lorsque j'y suis arrivée et un an plus tard, je me suis enrôlée dans l'armée israélienne.
Lorsque je me suis mariée, nous nous sommes installés aux Etats Unis où je vis depuis. J'ai trois enfants et six petits enfants.
Je voudrais mentionner Monseigneur Pierre Marie Théas, l'évêque de Montauban, qui nous a aidés, comme à beaucoup d'autres Juifs, à obtenir de faux papiers. Je suis sûre que c'est grâce à cela que nous avons pu être sauvées à deux reprises. Je voudrais aussi saluer la dame à la bicyclette, Marie-Rose Gineste, qui travaillait étroitement avec Mgr Théas ; c'était une véritable héroïne qui a tant aidé les Juifs de Montauban. Je veux remercier aussi ceux qui nous ont fait franchir la frontière vers la Suisse : Marie-Thérèse Neury et son père, M. Lançon qui a été déporté et tué avec son assistant François. Ces quatre personnes sont honorées comme des Justes de la Nation au Yad Vashem, le musée de l'holocauste en Israël. C'est là un honneur spécial accordé à tous ceux qui ont aidé les Juifs à s'échapper ou à se cacher pendant ce terrible épisode de la Deuxième Guerre Mondiale en Europe.
Bertha Schwartz
(traduction de Claude Porsella)

 
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